La source d’inspiration d’I Gapet s’appuie sur les œuvres de la peintre norvégienne Anna-Eva Bergman. Influencée par Edvard Munch, elle épouse Hans Hartung en 1929 et expose jusqu’en 1939, année où elle cesse de peindre pour des raisons de santé durant une dizaine d’années. Elle divorce d’Hans Hartung et revient plus tard à la peinture, s’établit à Paris en 1952 et se remarie avec Hans Hartung en 1957. Son parcours atypique a permis à la saxophoniste et flûtiste Sigrid Aftret de s’imprégner des formes et des différentes techniques utilisées par la peintre, eaux-fortes, gravures au burin ou à la pointe sèche afin de produire cet album fécond.
Il y a comme une diffraction musicale qui se diffuse par les splendides arrangements de Sigrit Aftret interprétés par l’Orchestre des compositeurs de jazz d’Oslo, le renommé Ojkos. La retranscription des partitions fait se succéder constamment la luminosité et l’obscurité. « Gravure sur bois » est construit parcimonieusement, les flûtes forment un point de départ qui annonce des superpositions de cuivres, en particulier les trombones de Magnus Murphy Joelson, de Johannes Fosse Solvang et Andreas Rotevatn soutenus par le tuba de Magnus Løvseth. La palette de couleurs rend compte de l’écriture foisonnante de Sigrit Aftret tout comme le final de « Dalende Farger og Gjenklang » qui succède à une intervention soliste originale du guitariste Arne Martin Nubode.
« Portal » affiche des alliages sonores astucieux qui caractérisent le pragmatisme orchestral d’Ojkos ; toute action surnuméraire est bannie, seul l’expressionisme compte. « Deux Caps » s’éloigne lui de toute forme conventionnelle, la clarinette de Tina Lægreid Olsen virevolte, les sons distendus s’accumulent et disséminent des formats rythmiques instaurés par la batterie de Knut Kvifte Nesheim qui soutient la marche progressive de l’orchestre. La harpe d’Evelien Vaneysendeyk initie les recherches tonales qui s’étendent dans la progression harmonique de « Miroir et une lune argentée », l’arrangement musical élaboré de Sigrid Aftret réalisé à partir d’une sélection d’images d’Anna-Eva Bergman a pris corps. Les trompettes de Tancred Heyerdahl Husø et Lyder Øvreås Røed soulignent la forte expressivité de cette composition qui fait écho à Gil Evans.
I Gapet a été enregistré en concert dans le chaleureux Victoria Nasjonal Jazzscene d’Oslo le 29 novembre 2022. La pureté avec laquelle cette musique se propage sublime le dépouillement, Sigrit Aftret témoigne ici de sa grande sagacité qui l’a conduite à s’immiscer dans les formats abstraits de l’œuvre prolifique d’Anna-Eva Bergman.