Chronique

Simon Moullier Trio

Countdown

Simon Moullier (vib), Luca Allemano (b), Jongkuk Kim (dms).

Label / Distribution : Fresh Sound Records

Et hop ! Tout de suite sur le haut de la pile, mais vraiment tout en haut ! Avec ce deuxième disque qui fait suite au déjà remarqué Spirit Song, le jeune vibraphoniste Simon Moullier s’affirme comme l’un des musiciens les plus enthousiasmants qu’on ait pu écouter au cours de la période récente. Affichant des ambitions singulières, telle que celle qui consisterait à « faire disparaître » un instrument dont il veut « tordre les notes pour obtenir une qualité plus vocale », celui-ci révèle une étonnante capacité à déjouer un répertoire pourtant consacré, qu’il chante quasiment en permanence en même temps qu’il le percute.

John Coltrane, Thelonious Monk, Tadd Dameron, Bill Evans ou bien encore Charles Mingus : il en faut bien plus, semble-t-il, pour effaroucher Simon Moullier, entre autres diplômé du Berklee College of Music et du Thelonious Monk Institute et qu’on découvre aussi comme un voyageur qui a su séduire par son talent quelques pointures ayant pour nom Herbie Hancock, Wayne Shorter ou Mark Turner. Ceux-ci ne constituant qu’un échantillon…

Rien, absolument rien ne manque dans la visite magnifiquement commentée des dix standards que propose Countdown, dont le titre est évidemment tiré de la composition homonyme d’un saxophoniste ayant bouleversé le jazz à pas de géants. Tout y est en effet : l’énergie, l’engagement en musique, la cohésion d’un trio en état d’interaction constante, la densité du jeu d’une cellule formée avec deux musiciens amis (déjà présents sur Spirit Song) : Luca Alemanno à la contrebasse et Jongkuk Kim à la batterie. La singularité aussi du propos, parce que l’approche du trio est constamment marquée par un désir furieux de ne pas répéter ni même paraphraser l’existant, mais bien au contraire de dessiner des formes nouvelles, ludiques et virtuoses à la fois. Comme s’il s’agissait d’écrire de nouvelles histoires qui viendront enrichir encore la grande histoire du jazz et offrir un palimpseste enchanté. On pourrait même déceler, dans le travail de relecture par ces trois-là, une forme réjouissante d’effronterie face à ce passé glorieux, qui se trouve remodelé avec un aplomb peu commun. Mais il s’agit là d’une effronterie de l’admiration envers un patrimoine qu’il faut s’interdire à tout prix de muséifier, associée à la volonté farouche de concentrer en quarante minutes des années entières de pratique collective. La vie, à tout prix, avant tout.

Countdown, comme son nom l’indique, est habité d’une forme d’urgence en lien direct avec la crise du Covid-19 – « créer avant que la pandémie n’arrête tout » – que nous traversons depuis de longs mois. Enregistré pour l’essentiel au mois de mai 2020 dans la foulée des dernières sessions de Spirit Song, ce disque de l’embrasement est l’un des plus beaux cadeaux que ce fichu virus nous aura légués. Et même si on peut penser qu’un tel « compte à rebours » aurait bien fini par naître, on est particulièrement heureux que l’agenda de sa mise au jour ait pu ainsi être avancé. Vivement la suite !