Chronique

Spacemusic Ensemble

IS OKAY OKAY IS CERTIFIED

Signe Emmeluth – as/no input mixer/compo/textes, Rohey Taalah – voc, Andreas Winther - d/synth, Karl Bjorå - g/no input mixer, Heida Karine Johannesdottir - tuba/effets, Anja Lauvdal - p/synth

Label / Distribution : Motvind Records

Avec cet ensemble particulier où l’instrumentation s’efface devant les personnalités des musicien.ne.s, la saxophoniste alto et compositrice Signe Emmeluth signe un disque d’une grande maturité musicale et d’une intense couleur orchestrale. Un disque chef-d’œuvre en forme de suite en huit parties, écrites pour ces musicien.ne.s là précisément. Second projet et seconde configuration du Spacemusic Ensemble, IS OKAY OKAY IS CERTIFIED combine une musique très écrite (de nombreuses séquences alignent la voix de Taalah aux unissons d’un instrument ou l’autre) avec des interférences improvisées.
Les deux membres de OWL, Emmeluth et Bjorå utilisent des consoles no-input et enrobent l’ensemble de résonances magnétiques, sur les traces de Toshimaru Nakamura. Les voix sont habilement mêlées et les couleurs n’en sont que plus mélangées. Le tuba puissant et grondant de Heida Karine Johannesdottir martèle de concert avec le batteur Andreas Winther, tandis que la pianiste Anja Lauvdal colore avec fulgurance et finesse les temps suspendus.

Les timbres sont particulièrement travaillés : toms légèrement détendus, guitare métallique, piano cristallin, souffles des vents, articulation théâtrale des déclamations, il y a une mise en scène fouillée et pensée, une narration, un sens dramatique. On trouve dans les textes écrits par Signe Emmeluth son appétence pour l’ubuesque poésie. Rohey Taalah y excelle dans l’art de leur donner corps, comme elle sait le faire avec son trio Gurls, mais avec une retenue maîtrisée, presque tristement par moment.
La guitare de Karl Bjorå est tout terrain, changeant de timbre en un instant, avec parfois une technique proche de celle de Julien Desprez dans l’approche bruitiste.

Il y a, c’est le principe d’une suite, des correspondances entre les pièces. Une des clés de lecture est l’alternance de pièces numérotées (« 1.1 » ; « 1.2 » ; « 1.3 ») qui présentent des plages d’improvisations électro-acoustiques où l’espace entre les éléments musicaux s’étend en expansion (d’où le nom du groupe Spacemusic) et des morceaux lettrés de A à E qui présentent des structures plus écrites, des cavalcades de tuttis poussées par la batterie enjouée d’Andreas Winther. Ces morceaux sont ceux avec des textes ou des syllabes chantés. De cette alternance naît donc un sentiment de répétition. La pièce centrale « B-2+3 » fait exception dans le sens où elle combine le tout. Enfin, la dernière pièce se termine avec une mélodie au piano, lente et suspendue qui se trouve également dans la première, comme pour boucler la boucle.

La modernité de cette suite réside aussi dans la grande culture musicale de sa compositrice qui a su puiser avec intelligence dans les standards et les codes des musiques improvisées, contemporaines, bruitistes tout aussi bien que dans le jazz moderne ou l’électro. Ça n’a ici, bien sûr, bien peu d’importance car les musicien.ne.s en charge de l’interprétation n’ont que faire de ces étiquettes et, en professionnel.le.s de la falsification, maquillent un accord de guitare en éclair tellurique et un trait de saxophone en boucle de rétroaction, pour notre plus grand enchantement.