Chronique

Spoo

Freaks

Eric Vagnon (saxes, fx), Eric Brochard (b, fx), Nicolas Lelièvre (dms, fx)

Label / Distribution : Autoproduction

A force d’abuser du terme « Power Trio » pour qualifier toute formation dont le langage emprunte à la saturation et aux coups de boutoir du rock, on l’a vidé de son sens. Qu’est-ce que le « Power » ? Qui a le « Power » ? Né de la rencontre du batteur Nicolas Lelièvre avec deux musiciens de l’ARFI, le contrebassiste Eric Brochard et le saxophoniste Eric Vagnon, Spoo cherche, sur ce deuxième album, à répondre par la sécheresse d’un propos radical, plus proche du free athlétique que d’un rock cacochyme.

Dans la lignée du travail de Christoph Erb avec Lila ou de Nerf, Freaks [1] travaille une masse sonore bourdonnante et en tire un matériau tranchant, qui s’inspire autant du métal le plus décharné que d’une tradition free exubérante. Ainsi, le drone qui s’enfle dans « A Random Insanity Continuum » sur le souffle écorché de Vagnon, pour exploser soudain en des fragments de riffs rock menés par l’archet conquérant de la contrebasse est l’exemple type d’une musique qui ne s’interdit aucune voie, pourvu que ce soit celle de l’urgence. Empruntée si possible toutes sirènes hurlantes.

Spoo, le nom du groupe, évoque déjà un mélange de spontanéité et de sidération. L’état se prolonge lorsqu’on s’immerge dans l’univers inquiétant de « Vampyre », où une batterie lourde accompagne les tréfonds électriques de la contrebasse. Le bourdon incessant et déstabilisant est zébré par un saxophone chauffé à blanc, et l’auditeur y trouve des interstices inconnus qui se détachent du flot continu. Cette faculté de dompter le bruit en d’infimes inflexions traçant de nouveaux chemins est liée avant tout au travail structurant de Lelièvre. Là où un batteur de métal aurait cherché la puissance de la pulsation, ce comparse de Zingaro ou de Cappozzo apporte des nuances dans la noirceur ambiante (« Technical Details Of A Permanent Failure ») et assouplit les nappes insaisissables qui semblent être l’œuvre de machines impassibles (« Spoodification »). Au fil du récit de Freaks, ces machines se dérèglent soudain à force de rectitude et, dans un ultime soubresaut, se révèlent humaines. Idéal pour rêver de moutons électriques.