Chronique

Stefan Orins Trio

Liv

Stefan Orins (p), Christophe Hache (b), Peter Orins (dms)

Label / Distribution : Circum Disc

Parmi les formations historiques du collectif Muzzix, basé dans la région lilloise, le trio de Stefan Orins est certainement une des plus discrètes, à l’image de ce pianiste économe mais qui va droit au but. À première vue, on pourrait croire que son rôle au sein du Circum Grand Orchestra (CGO), par exemple, se résume à donner une impulsion rythmique supplémentaire ; alors qu’au contraire, il lui faut peu d’espace pour laisser libre cours à un jeu très contemporain et empli de poésie. L’immuable formule en trio lui permet d’allier les martèlements d’ostinatos à l’unisson du contrebassiste Christophe Hache aux discussions ardentes entre les cymbales de Peter Orins. La relation télépathique entre les deux Orins ne s’explique pas seulement par leur relation fraternelle, mais aussi par des axes convergents dont la contrebasse est le point névralgique.

A ce titre, Liv, le quatrième album de ce trio est le terrain de jeu rêvé pour Stefan. En suédois, « liv » signifie vie ; le titre du précédent, Stöt, signifiait choc. Il y a effectivement ici quelque chose de la pulsion, de l’allégresse qui fait battre les cœurs, comme dans ce « Liv » où la main gauche du piano et la contrebasse se confondent dans des rythmiques instables et bondissantes. Un échange heurté, maintenu par un drumming inflexible, qui a un côté troublant. Cet orchestre est un cœur affolé par une course à perdre haleine, celle des jeux enfantins à travers les grands espaces. Il en est de même avec « Upplösning » (« résolution ») le bien nommé : la formule égalitaire du triangle est fondamentalement résolue et pugnace - les uns entraînant les autres vers toujours plus de densité. Là où, dans Stöt, le propos de Stefan Orins s’apparentait aux cascades harmoniques d’EST, ici rien n’est verbeux. Chaque phrase accentuée cimente au contraire une parole collective sans digressions inutiles.

On pourrait être tenté de voir dans ce trio une sorte de noyau fusionnel de la base rythmique du CGO ; et de fait, on y retrouve un même goût pour les progressions cycliques (« Initiales VV », où la contrebasse incisive s’estompe peu à peu dans les tréfonds du piano). Mais il peut aussi être contemplatif quand la main droite de Stefan Orins s’alanguit ou que le métal effleuré par son frère plonge la musique dans une brume jamais loin du silence. C’est par exemple l’onirique « Henri Grouès », où les deux frères délaissent les frappes farouches pour une nébuleuse abstraite aux atours contemporains. Comme l’abbé Pierre - auquel ce morceau est dédié -, ce trio est un modèle de générosité et de simplicité qui illumine un album chaleureux.