Chronique

Steve Kuhn Trio with Joe Lovano

Mostly Coltrane

Steve Kuhn (p), Joe Lovano (ts, tarogato), David Finck (b), Joey Baron (dm)

Voici un enregistrement de haute qualité, l’œuvre de magnifiques artistes. Un enregistrement de plus à la mémoire de John Coltrane, dira-t-on. Sans doute, mais peu de musiciens vivants peuvent, comme Steve Kuhn, se targuer d’avoir joué avec l’incandescent génie. Et quand il s’agit de citer, parmi les saxophonistes en activité, ceux qui se rattachent à l’école coltranienne, le nom de Joe Lovano vient vite à l’esprit.

Pour rajouter à la pureté de l’hommage, c’est « la » formation coltranienne, un quartet avec piano qui est ici réuni. Quand à la section rythmique, la solidité discrète de David Finck rappelle celle de Jimmy Garrison, et l’activité bouillonnante de Joey Baron celle d’Elvin Jones. Le répertoire choisi illustre bien le titre de l’album : c’est surtout du Coltrane, mais il y a aussi deux standards et deux pièces du pianiste et leader, jouées ici en solo. Le choix des thèmes de Coltrane est intéressant et original. A côté des classiques « Crescent » et « Central Park West » figurent par exemple deux titres du Stellar Regions que Coltrane enregistra six mois avant sa mort en compagnie de sa femme Alice, du fidèle Jimmy Garrison et du batteur Rashied Ali, récemment disparu. Le choix de « Configuration », pièce assez abstraite qui nous vaut un explosif duo Lovano-Baron, et de « Jimmy’s Mode », n’avait rien d’évident pour un musicien comme Steve Kuhn, qu’on rattache instinctivement à un courant mainstream. Il montre une facette inattendue du personnage ainsi que sa connaissance complète de l’œuvre de celui dont il fut brièvement le pianiste en 1960.

On comprend donc que cet album soit attendu, d’autant que la formation s’était produite au festival JazzBaltica en 2008 avant d’enregistrer et que des traces de cet événement sur YouTube attestaient de la flamme qui animait musiciens et de la réponse enthousiaste du public. Alors ? Ces grandes espérances étaient-elles justifiées ? Aux premières écoutes… pas tout à fait. On nous pardonnera le lieu commun « Coltrane artiste de la transe, de l’intensité ». Tout disque portant son nom promet des explosions, des pics, une libération d’énergie au cours de « longs voyages vers la flamme », comme aurait dit Scriabine. Ici, le soin apporté à la prise de son, coutumier chez ECM comme la réverbe généreuse, prive la musique de cette dimension spirituelle. D’où un sentiment d’inconfort né du contraste entre la musique proprement dite et le son un peu froid, ainsi qu’une relative mise en retrait de la section rythmique. Mais si on va au delà des ces premières écoutes, pour lesquelles le casque s’impose, on découvrira combien ce disque contient de maîtrise, de beau son, et surtout combien il est généreux dans l’hommage sans renoncer à la personnalité propre des instrumentistes : il ne s’agit pas d’un « à la manière de », où on aurait mimé des nappes de son, des réitérations hypnotiques et des variations modales, mais d’un « je t’aime » ; et c’est tellement plus fort…