Chronique

Steve Lacy, Five Pianists

Five Facings

Steve Lacy (ss), Marilyn Crispell, Misha Mengelberg, Ulrich Gumpert, Vladimir Miller, Fred Van Hove (p)

Label / Distribution : Jazz Werkstatt

Opportune réédition d’un chef d’œuvre. Five Facings a été publié la première fois par FMP (Free Music Production) en 1996. La présente réédition par le label allemand Jazz Werkstatt date de 2010, mais ne nous est parvenue qu’aujourd’hui. Deux morceaux avec Marilyn Crispell, trois avec Misha Mengelberg, et un avec chacun des trois autres pianistes constituent la matière musicale de cette confrontation, où Steve Lacy poursuit son dialogue avec Thelonious Monk à travers solos et duos, qui parsèment sa carrière, et avec quel bonheur !

C’est évidemment avec Misha Mengelberg que Steve Lacy peut laisser aller sa veine monkienne au plus fort, dans « Off Minor », « Ruby My Dear » et « Evidence ». On a un peu oublié (dans les jeunes générations) ce pianiste hollandais dont le grand oncle (Willem Mengelberg) fut un des grands chefs d’orchestre de l’avant-Deuxième guerre, célèbre entre autres pour ses enregistrements avec le Concertgebouw d’Amsterdam. Misha est incontestablement l’un de ceux qui a su le mieux assimiler la manière monkienne. Un partenaire « naturel » de Han Bennink, par exemple…

Avec ses autres interlocuteurs, Steve Lacy joue plutôt à la création collective, ou à l’interprétation de pièces de son cru, comme le très séduisant « Blues For Aida » dont on connaît des versions avec Mal Waldron, et qui est ici offert à la sagacité de Marilyn Crispell. Une petite lenteur en plus, une application particulière, une réverbération certaine et finalement bienvenue, et puis un « je ne sais quoi », un « presque rien », font que cette version de ce qui est un vrai tube du répertoire du sopraniste me semble un peu supérieure, en tous cas plus « prenante » que celle gravée avec Waldron au Bimhuis en 1982. Voilà pour le jeu des comparaisons. Quant à « The Crust », également offert à Marilyn Crispell, c’est une pièce délicieuse, dansante, qui convient parfaitement à ce dialogue, lequel semble ne s’être pas reproduit d’ailleurs, et c’est fort dommage…

Avec Vladimir Miller, Steve Lacy joue une pièce en forme de tango (« The Wane »), écrite par Fred Van Hove, qu’il retrouve pour un long thème intitulé « Twenty One » ; il y déchaîne furieusement son soprano en des éclairs rageurs. A découvrir aussi le pianiste Ulrich Gumpert, partenaire de Beñat Achiary il y a quelques années.