Chronique

Steve Potts

Bucket of Blood

avec la collaboration de Michel Edelin

Label / Distribution : Lenka Lente

Patiemment les Editions Lenka Lente construisent un catalogue qui devient le complément idéal de toute personne désireuse d’approfondir sa connaissance du jazz. Après les biographies et point de vue sur Jackie McLean, Eric Dolphy ou Thelonious Monk voici un petit livre signé Steve Potts. La nuance est de taille, en effet, puisque Bucket of Blood ne parle pas du saxophoniste mais le laisse parler.

Durant les nombreuses années où ce dernier a animé les soirées du club parisien Les 7 Lézards en proposant une musique vivante et toujours investie, son ami le flûtiste Michel Edelin a recueilli les nombreuses anecdotes post-musicales que l’Américain se plaisait à conter. Aujourd’hui compilées en une petite centaine de pages et introduites par le regard caustique du flûtiste (il dresse en peu de mots le portrait de la faune qui gravite autour des musiciens. Mention spéciale au critique de jazz), ces anecdotes nous font entendre le lointain souvenir d’une époque qui s’est tue. Et dont nous vivons grâce à ce livre, et comme de l’intérieur, la folle résurgence.

Au cœur de cette famille désormais devenue légendaire, Steve Potts a, en effet, connu tout le monde, a joué avec tous, Miles, Coltrane, Ornette, Eric Dolphy, tant d’autres. Il raconte les extravagances attendrissantes de Monk qui danse devant un club pendant que son groupe joue à l’intérieur, les tournées mondiales et épuisantes au côté de Steve Lacy et mille historiettes qui font le sel de cet ouvrage et la vie pleine de ce musicien et homme.

Car au-delà des sourires et de la documentation d’une époque, Steve Potts nous livre aussi un regard sur le métier et des leçons sur la vie. Inévitablement, l’affligeant problème du racisme américain est relaté puisque directement vécu dans la chair du saxophoniste. Également, son rapport à la musique, la manière de la jouer et de s’y investir pour, en un mot, la vivre.

Wayne Shorter, en jam session au côté d’un batteur avec qui le courant ne passe pas, s’entête dans un solo de quarante-cinq minutes jusqu’à trouver un terrain d’entente. “Il faut lutter jusqu’à la mort” sera sa sentence. Ce genre d’enseignements émaillent le récit sur ces hommes qui ont connu un métier riche d’intensité mais aussi dur, âpre et parfois douloureux. La grandeur de Steve Potts est d’avoir su n’en conserver que la grandeur sans jamais céder à l’amertume et de se tenir droit pour porter haut le son de son saxophone, avec humilité et dignité.

Steve Potts, dessin Yann Bagot