Sulida

Sulida se présente comme un collectif à trois, tant dans l’écriture musicale qu’avec la complicité qui unit la saxophoniste Marthe Lea et les rythmiciens Jon Rune Strøm et Dag Erik Knedal Andersen. L’équilibre demeure précaire dans un trio et l’auditoire peut vite se retrouver déstabilisé, il n’en est rien ici tant les interactions des instrumentistes sont formidablement imbriquées. Les voies dans lesquelles cette formation évolue témoignent d’une imagination fertile et la réflexion avec laquelle les musicien·nes instaurent des climats ne cesse de surprendre.

Marthe Lea se distingue par sa contribution énergique, elle construit un chemin parsemé de surprises comme dans « Furore » qui fait renaitre les inflexions d’Albert Ayler. Le cri y est sublimé et le chant omniprésent. La contrebasse de Jon Rune Strøm sublime le contrechant, elle approfondit le mécanisme rythmique propagé par Dag Erik Knedal Andersen, toujours sur le qui-vive. « Eldars Pols » fait place à une intériorisation des sentiments, la mélodie se mue peu à peu en un lamento spirituel, Marthe Lea y explore exquisément les tréfonds de l’âme.

En un peu plus d’une minute, la transformation progressive des percussions anime « Sulida » alors que les déferlements de Dag Erik Knedal Andersen, inspirés par les abstractions cadencées de Tony Oxley, envahissent « L​å​gen ». La musique expulse une rage sous-jacente illustrée par une propagation de nombreux registres sonores. Tout comme la signification du titre de l’album Utos, qui désigne l’endroit où une rivière se jette dans l’océan, cette entité musicale s’inscrit dans les méandres historiques du jazz libre.

Sulida sublime l’intensité créatrice et l’authenticité du trio outrepasse les frontières musicales. La modernité structurelle n’omet pas de rendre hommage aux figures tutélaires du jazz, la conclusion du disque avec la reprise du poignant « Song For Che » de Charlie Haden en est l’illustration exemplaire.