Scènes

Sur la route des festivals

les festivals d’Oloron et de Luz vus par Philippe Méziat.


Philippe Méziat, la pipe entre les dents, le sourire aux lèvres et la besace en bandoulière reprend cette année la route des festivals d’été. Premières étapes : Oloron et Luz Saint-Sauveur.

Luz St Sauveur, le 7 juillet 2001

Mon cher Alain,

Je retrouve en même temps le plaisir des routes du jazz, et celui de t’écrire. Tu vas dire que je prends mes vacances ainsi, mais note bien que je fais aussi mes devoirs de vacances en t’adressant ces quelques lignes. Le travail et l’amour, il n’y a que ça de vrai ! Et leur réunion est un vrai bonheur !

Bon, ne nous égarons pas. Tu connais ma passion pour les Pyrénées-Atlantiques, ce département bicéphale, avec d’un côté le Béarn, de l’autre le Pays Basque, d’un côté Bayonne et son festival près des remparts – du jazz solide, un peu vieillot quand même – et de l’autre Itxassou, avec les prés, les chênes, les oiseaux et les frontons. Quant à Oloron, c’est tout près de Pau, il faut traverser la région du Jurançon, impossible de ne pas penser au « Vert-Galant » et à son intelligence politique, c’est une ville en montées et en descentes, le festival de jazz y prend un tour très audacieux depuis quelques années, tant mieux pour nous. Je me souviens d’Iva Bittova sous la pluie, puis réfugiée dans une église voisine, je me souviens de Gerry Hemingway l’année dernière, je me souviens encore de l’impact physique de David Krakauer avec Kevin Norton.

Ellery Eskelin m’avait servi de lien, l’année dernière, puisqu’il passait à Oloron, puis à Luz (autre festival où l’on respire), et je me demandais qui allait bien pouvoir le remplacer. La réponse est venue hier, lorsque j’ai croisé Denis Colin, qui venait de se produire dans la cité béarnaise avec ses « Arpenteurs », et qui était ici au sein du groupe de Patricio Villarroel et Pablo Cueco « Transes Européennes Orchestra ». A Oloron, les Arpenteurs ont offert en gros le même programme qu’à « Sons d’hiver » au début de l’année, et pourtant tout était différent. J’avais assisté à un concert tendu, crispé, les thèmes du disque « Etude de Terrain » s’étaient ajointés de façon artificielle au nouveau répertoire (« Dans les cordes »), et les musiciens n’avaient pas caché leur relative déception. A Oloron, tout s’est déroulé comme dans un rêve heureux, il régnait entre Denis, Pablo, Camel Zekri, Régis Huby et Didier Petit une entente paisible, la musique est venue sans efforts apparents, le public a été sous le charme. Donc je croise Denis Colin, et je lui dis à peu près ça. Nous sommes restés un moment sur le pont qui sépare Luz d’Esquièze-Sere, et nous avons parlé de la colère. C’est lui qui a initié le débat, il voulait souligner l’inutilité de la colère – qui n’est pas la révolte – la gratuité coûteuse de cette émotion si souvent utilisée dans la musique, ou ailleurs. Nous avons paisiblement réglé son compte à la colère, nous avons dit que la musique, comme toutes les formes d’expression, avait cette vertu de pacifier les humeurs, pour peu qu’elle trouve les voies qui lui sont propres. Les mots pour le dire. La discussion n’est pas close, tu t’en doutes, mais depuis un certain temps je suis un peu sur la réserve par rapport à l’utilisation du cri et de la colère dans les musiques « actuelles ».

Toute cette métaphysique musicale ne nous a pas empêchés de boire un verre de Jurançon en mémoire de ce concert, et de ceux qui ont suivis : l’Amsterdam String Trio d’Ernst Reijseger avait proposé un répertoire un peu monotone, interprété avec finesse et humour, Vincent Courtois avait présenté son trio avec Lucilla Galeazzi et Michel Godard – un très bon moment, à la fois chaleureux et décidé – et le dernier jour nous avions eu droit à un exceptionnel moment de virtuosité musicale, avec Mark Feldman et Wolfgang Puschnig. Mark ne cesse de progresser, son jeu a perdu un peu de son parfum « country », il a gagné en précision, en toucher, en finesse de phrasé. Quant à Puschnig, il a un son d’alto bien à lui. Les unissons à toute vitesse qui préludent et mettent un terme à de nombreuses pièces ont enchanté la salle, et les moments d’improvisation ont montré tout ce qu’on peut faire encore dans le domaine d’une musique explicitement thématique. Pour conclure, Henri Texier s’est présenté à la tête de son trio (Sébastien à la clarinette et alto, l’excellent et précis Rabeson à la batterie), il n’a guère convaincu. Il faut dire qu’après l’entretien sur les météores qui venait de se dérouler, l’azur était un peu pâle…

Ici, après la méditation sur la colère et sur la paix est venu le temps de l’enthousiasme. Et ce, sous la forme d’un groupe dont j’ai acheté le disque – tu connais ma rage des disques, je n’en ai jamais assez – les « Four Walls », déjà entendus à Nîmes au Printemps du même nom. Ces quatre anglais ont réconcilié le public (et moi-même) avec l’idée de la modernité, avec le désir même de la subversion des codes, tout simplement parce qu’ils mettent leur immense talent au service d’un vrai projet musical, et au-delà, humain. Je t’en dirai davantage la prochaine fois, mais je vois le facteur qui se pointe.

Au fait, ici nous sommes logés chez Nanou et Bruno, je tiens à les citer. Il n’y a pas qu’à Marciac que le bénévolat permet au « jazz » de vivre et d’embellir. Ce festival de Luz, il faut tout faire pour le garder.

A bientôt donc, mon cher, et tâche quand même de prendre quelque repos.