Chronique

Sylvain Darrifourcq & Toma Gouband

Cartographie de Rythmes #1 / Karl Naegelen

Sylvain Darrifourcq (dms, objets), Toma Gouband (perc)

Label / Distribution : Umlaut Records

Le compositeur Karl Naegelen est féru de musiques improvisées et a une approche physique du son, organique même, qui l’a fait se rapprocher d’artistes comme Joris Rühl ou Eve Risser, notamment dans un Fenêtre Ovale qui connut deux volets. Le dernier en date voyait arriver aux côtés de la pianiste le percussionniste Toma Gouband que l’on retrouve ici dans un ambitieux et poétique Cartographie de Rythmes – Vitesses approchantes. L’œuvre écrite par Naegelen est un duo de rythmiques, le comparse de Gouband se trouvant être Sylvain Darrifourcq, autre chercheur insatiable de sons étendus sur sa batterie et sculpteur de son très inventif ; cela pourrait être un hymne à la polyrythmie et à la performance, c’est davantage un édifice de précision auquel nous faisons face, à l’instar de « Déphasage circulaire » qui commence comme en catimini, fine dentelle de pierre que Gouband martèle comme on tricote. La batterie de Darrifourcq vient lui donner du corps, en restant très flexible et parcimonieuse. À force de décalage, on assiste à un mouvement, comme une pellicule de celluloïd qui s’enroulerait. Un génie mécanique.
 
Toma Gouband est un percussionniste à part. Son instrument est fait de pierres, d’objets disparates qui rendent son jeu incroyablement cristallin. Entre lithophones et idiophones, il est pourvoyeur d’étrangeté et de relief, Darrifourcq se chargeant d’un jeu plus conventionnel, frappant les peaux du tambour comme on recherche l’équilibre. Avec « Minimal », délicieusement répétitif, comme une machine-outil qui prendrait vie, on assiste à une fusion entre les deux percussionnistes qui se font face, comme un seul et même corps qui se complèterait, élargirait son spectre et serait le pendant d’un même geste, comme la respiration est une inspiration et une expiration.
 
Le duo réalise pour Umlaut Records un fascinant travail d’illusionniste. Le principe est simple : les deux musiciens sont casqués et reçoivent une pulsation dans les écouteurs sur laquelle ils improvisent sur différents supports. Cartographies de rythmes est une fascinante manière d’aborder le rythme dans sa complexité, et d’aller chercher les sympathies entre les sons, voire des sortes de sons fantômes que les différentes syncopes créent à nos oreilles troublées. Un travail qui n’est pas inédit chez Sylvain Darrifourcq qui traçait déjà ce sillon dans son trio Tendimite ; on reconnaîtra d’ailleurs l’usage des petits moteurs galopant dans des bols sur l’intense « Impacts ». Le duo et leur compositeur proposent un disque troublant et précieux.

par Franpi Barriaux // Publié le 29 mai 2022
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