Chronique

Sylvain Kassap Sextet

Octobres

Sylvain Kassap (cl), Christiane Bopp (tb), Hélène Labarrière (cb), Sophia Domancich (Fender Rhodes, p), Aymeric Avice (tp, bugle), Fabien Duscombs (dms)

Label / Distribution : Rogue Art

A la tête d’un tout nouveau sextet, Sylvain Kassap propose un programme traversé de multiples temporalités. Celle d’Octobres (et sa composition corollaire « Oktiabr ») d’abord, qui lui donne son titre et renvoie initialement à une commande réalisée pour la commémoration des cent ans de la révolution russe ; le s final suggérant les autres renversements passés et à venir. Celle ensuite de 1871, « La Semaine Sanglante », lorsque la Commune de Paris tenta, en vain, de mettre à bas le pouvoir en place. Plus loin encore, celle de « Spartakus », premier siècle avant J.C. où la révolte s’incarne en un homme, devenu symbole, qui lutte contre l’oppression. De manière plus intime enfin, ce sont aussi les années 60/70 et le titre « Canterbury », ce lieu qui fit école, où les avancées du jazz et du rock les plus audacieux inventèrent, sans en faire pourtant une académie, une esthétique (le rock progressif) qui marqua le jeune Kassap.

Le temps de l’Histoire comme le temps du tempo sont les endroits que la musique habite. C’est ainsi que, dans le cadre de ce cheminement, une géopolitique se met en place dans laquelle les sensibilités humaines se révèlent et, ici, s’épanouissent pleinement. Les longues amitiés (celle avec Hélène Labarrière, avec qui le clarinettiste a enregistré voici vingt ans un fameux duo) et les rencontres plus récentes sont soumises au fondamentaux du fonctionnement démocratique. Chacun trouve l’espace qui est le sien pour s’exprimer – et le disque est régulièrement ponctué d’interventions solistes (à commencer par un puissant solo de trombone de Christiane Bopp) – mais doit le faire dans la perspective du programme commun. Les pièces, en retour, sont écrites avec suffisamment de souplesse pour se laisser prendre par le vif de l’improvisation.

Ainsi la charpente profonde de la basse et les guirlandes électriques du Fender Rhodes de Sophia Domancich installent des climats propices à la trompette obstinément fureteuse d’Aymeric Avice et la clarinette fulgurante de Kassap. Servi par des arrangements qui affirment un son orchestral contemporain et donnent du coffre à l’ensemble, le répertoire se déploie au long de ces récits musicaux et se retrouve dans un final qui mêle à la fois le populaire et l’énergie d’un free jazz de fanfare à l’approche généreuse et libertaire dans laquelle le batteur Fabien Duscombs apporte un enthousiasme luxuriant.