Entretien

Sylvain Luc, improviser pour raconter

Entretien avec le guitariste Sylvain Luc

Sylvain Luc à Orthez en 2016 © Pierre Vignacq

Musicien hors pair qui raconte sans jamais se répéter ses rencontres au gré de ses six cordes, le guitariste basque dit combien il est important de se nourrir de tous et de tout.

Sylvain Luc à Coutances 2018 © Gérard Boisnel

- Vous avez souvent été perçu au travers de vos talents techniques de guitariste. On a souvent vanté votre vélocité. Peut-être est-ce d’ailleurs fortement lié à l’univers guitaristique ? Je pense notamment à ces grandes figures de la guitare ou encore à la notion de « guitar hero ». Cette manière de voir n’est-elle pas réductrice ?

J’ai envie de dire que la trajectoire d’un instrumentiste c’est de se bonifier en tant que musicien. Ça passe par un certain travail, par de la technique ou plutôt par de la maîtrise technique. Mais c’est un outil. L’idée est d’être le plus possible ancré dans la musique, de procurer des émotions. C’est la seule chose qui m’intéresse. Je ne souhaite pas sidérer les gens. Une partie du public peut être sidérée par une prouesse technique, par de la fulgurance, c’est vrai. Dans les années 1970-1980, il y avait cette tendance à jouer très vite. Ça a peut-être perduré sous certains aspects. Mais, pour ma part, je ne cherche pas à être spectaculaire. J’aime que la musique explose, explore ou prenne son temps.

- Vous donnez l’impression de privilégier les « petites » formations. On vous a beaucoup croisé en duo, que ce soit avec Biréli Lagrène, Richard Galliano pour ne citer que ceux-ci, ou en trio. Est-ce que ça relève du hasard ou effectivement préférez-vous ces formules ?

J’ai joué et je joue dans des formations plus grandes. Par exemple j’ai un quintet avec Keyvan et Bijan Chemirani, Lionel Suarez et Stéphane Belmondo. Mais c’est vrai que je préfère privilégier les petites formations, le solo, le duo ou le trio. C’est plus facile de se parler, d’échanger entre musiciens. Quand on élargit le groupe, la musique est souvent plus écrite et comme je n’aime pas faire deux fois la même chose, ça doit expliquer cette préférence pour les formats plus petits.

quand on improvise, on se raconte, on dit qui on est

- Votre jeu est riche d’improvisations. Mais à vous écouter jouer on a le sentiment qu’il y a autant de manières d’improviser qu’il y a de partenaires. Les longs développements à partir de thèmes populaires que vous proposez avec Biréli Lagrène, par exemple, ne ressemblent pas aux improvisations que vous pouvez mener avec Médéric Collignon ou avec Sly Johnson.

On ne dit pas toujours assez à quel point un musicien doit s’adapter pour que la musique ait un sens. Car quand on improvise, on se raconte, on dit qui on est. Quand j’improvise j’exprime qui je suis et comment je suis, j’exprime même mes doutes. Et, sauf si on est en solo, on improvise avec quelqu’un d’autre. Avec mon épouse Marylise Florid, on a un duo autour de la musique classique sur laquelle j’improvise. C’est un langage. Avec Biréli, avec Bernard Lubat, avec Médéric ce sont autant d’autres langages.

- Différents langages et différents genres également. Vous pouvez aller du côté du jazz bien sûr mais aussi de la chanson, et pas seulement.

Je crois être très éclectique et tous ces styles me nourrissent beaucoup. Certains musiciens se cantonnent à un genre. Pourquoi pas ? Moi, je serais malheureux. C’est très certainement ma formation. J’ai joué du rock, du jazz expérimental, de la musique traditionnelle basque. J’ai fait beaucoup de studio aussi. Or, quand on fait du studio, il faut pouvoir jouer dans différents styles et différentes guitares. Car il n’y a pas une guitare mais des guitares et le timbre de chacune d’entre elles nous dirige vers tel ou tel genre de musique. J’écoute beaucoup de musiques aussi et tout ça me nourrit également.

- Vous donnez souvent l’impression de donner des touches d’humour dans votre jeu. Je pense par exemple au duo avec Biréli Lagrène. S’amuser fait-il partie de la scène ?

Vous avez totalement raison. Je crois que j’aime bien dépassionner la forme classique d’un concert. J’aime bien que mes notes fassent réagir et j’aime bien réagir aux notes des autres. Il y a un côté qu’on pourrait qualifier de facétieux. Il y a aussi l’idée d’aller chercher quelque chose. J’ai envie de dire qu’on peut sérieusement rigoler. De plus, j’ai un peu de mal avec l’image du musicien de jazz maudit. L’humour permet au musicien de se détendre. Et au public aussi.

Sylvain Luc à Orthez en 2010 © Pierre Vignacq

- A l’occasion d’une carte blanche au festival d’Anglet en 2018, vous aviez dit être comme à la maison. Je comprends que ça faisait référence au Pays basque. Mais de manière générale, vous semblez très décontracté sur scène.

Juste avant de monter sur scène, j’ai un peu d’adrénaline. Une fois que la musique commence, le stress disparaît. C’est la première note qui est la plus difficile. A Anglet justement, je me souviens qu’il y a eu à un moment un problème avec la guitare électrique. Dans des situations comme celle-la, il faut pouvoir réagir, sinon on panique. La décontraction doit assurément aider. J’ai donc pris la guitare acoustique et on a joué sans retour.

- Je crois que l’ensemble des morceaux du trio Sud est constitué d’improvisations. Est-ce à dire qu’on entre en studio sans partitions, sans motifs mélodiques et qu’on se lance comme ça ? Comment est-ce que ça marche dans le cas de ce trio ?

Les premiers concerts ont été faits comme ça. J’envoyais les choses et on regardait comment ça réagissait. D’ailleurs c’est ça qui est intéressant, surtout avec André Ceccarelli et Jean-Marc Jafet. Sud, c’est véritablement trois individualités. On se connaissait très bien et on se connaît toujours très bien. Quand on joue ensemble, on voit où ça mène. On se repose quelquefois sur des thèmes. Quelquefois encore, les thèmes ont été improvisés sur place. Pour les albums, c’était un peu différent en revanche.

La peinture, la poésie, les paysages, il ne faut pas oublier d’aller voir ailleurs

- J’imagine qu’on n’est pas guitariste sans s’inscrire dans la grande histoire de la guitare, au-delà du jazz même. Alors la réponse est très certainement impossible mais, tout de même, quels sont les guitaristes qui ont contribué à façonner votre style ?

Il y en a tellement. Je dirais Baden Powell. Je dirais aussi les guitaristes des années 1970 et 1980. John McLaughlin, John Scofield, Andrés Segovia également dans un registre de musique classique, Jeff Beck. Joe Pass aussi. C’est d’ailleurs le premier trio que j’ai entendu : un album que m’avait donné l’accordéoniste Joë Rossi. Pat Metheny, Jim Hall. Il y en a plein, plein, plein. La jeune génération également compte beaucoup pour moi, des guitaristes comme Julian Lage ou Nelson Veras par exemple. En tant que guitariste j’ai voulu sonner ailleurs. L’influence de mon frère accordéoniste, Gérard, y a très certainement contribué. J’ai donc une approche de clavier. J’ai écouté beaucoup de pianistes, d’orchestres. En fait c’est bien plus large que les seuls guitaristes. J’ai beaucoup écouté de soufflants aussi. Ce sont toutes ces voix différentes qui m’ont influencé. Il y a aussi l’omniprésence du rythme dans la musique. Je suis passionné par les batteurs et les percussionnistes. Je me demande souvent comment ils font ceci ou cela. J’aime aussi voir comment les autres instruments fonctionnent

- Je crois d’ailleurs que vous jouez également de la basse

Le fait que je sois bassiste change mon angle. Je comprends d’autres rôles, d’autres points de vue. Sans compter que c’est jubilatoire de jouer de la basse. D’ailleurs Jaco Pastorius fait partie lui aussi de mes nombreuses influences. En revanche, contrairement à Biréli, j’ai découvert Django et son génie sur le tard. Je dirais très volontiers que je me nourris d’autres arts. La peinture, la poésie, les paysages, il ne faut pas oublier d’aller voir ailleurs.