Chronique

TOC

Did it again

Jérémie Ternoy (Fender Rhodes), Peter Orins (dms), Ivann Cruz (eg)

Label / Distribution : Circum Disc

Trois fois quinze et dix qui font quatre. C’est par cette opération algébrique audacieuse que la formation TOC complète son impeccable discographie. Comme toutes les équations imparables mais complexes, il faut savoir la lire. Ainsi, le trio fête ses quinze ans d’existence et sa dixième production par un objet contenant pas moins de quatre galettes.

Quinze ans, en effet, que le claviériste (Fender Rhodes) Jérémie Ternoy, le batteur Peter Orins et le guitariste Ivann Cruz mettent l’initiale de leur nom au service d’une musique spontanée, toujours totalement improvisée, et qui prend son entière justification dans des prestations live intenses. Témoins donc ces quatre enregistrements, captés pour trois d’entre eux lors de deux dates (à l’occasion d’une tournée d’une dizaine de concerts en Europe Centrale), en Pologne et en Hongrie, la troisième à la Malterie à Lille, lieu où le groupe est implanté.

Sur ces trois disques (Dragon / Lumen / Base), d’un quarantaine de minutes chacun, un long continuum sonore se déploie, prenant de l’ampleur à mesure que les événements le traversent. Progressivement mais inexorablement, les trois musiciens mettent en mouvement un tissu organique lacéré de griffures électriques qui sont autant le fait de la guitare que des nappes sous tension du clavier. Les deux, d’ailleurs, fonctionnent en paire étroite, face double d’une même entité ; ils ne cherchent pas à se donner la réponse ou construire un dialogue, plutôt à faire évoluer une construction en anamorphose permanente. Le son plein accorde peu de place au silence ; sans être invasif, il plonge l’oreille dans une hypnose qui annule toute capacité de réflexion et subjugue par sa force d’intervention.

Au fil du temps, Peter Orins, quant à lui, se désengage de plus en plus d’une forme de batterie traditionnelle. Sans être pleinement coloriste - quoiqu’il le soit aussi - il invente des rythmes secs et précis, toujours pulsatiles mais qui, par des à-côtés, des en-dessous, nourrissent le son en utilisant l’intégralité de l’instrument. Cette déstructuration, véritable tour de force, joue d’ailleurs un rôle moteur dans la progression du trio.

De fait, les captations sont d’une approche différente selon les soirs (notre goût porte sur le concert enregistré à Lille qui concentre les qualités des deux précédents et portent haut les paroxysmes) : TOC développe un discours qui est une identité en soi, unique et toujours changeante.

En complément de ces trois lives, le trio nous gratifie de la réédition de son premier disque sorti en 2009. Le Gorille donne à entendre un groupe forcément plus jeune, moins dense dans ses propositions mais déjà bien campé sur une ligne directrice dont il n’a jamais dévié. Quand l’obstination est l’autre forme du geste musical.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 11 décembre 2022
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