Chronique

Ternoy - Cruz - Orins

Qeqertarsuatsiaat

Jérémie Ternoy (p), Ivann Cruz (g), Peter Orins (dms)

Label / Distribution : Circum Disc

Une seule anagramme et le monde est renversé. On s’aperçoit qu’il en est de même avec les musiciens du collectif Muzzix. On connaissait le trio TOC, qui annonçait le pianiste Jérémie Ternoy, le batteur Peter Orins et le guitariste Ivann Cruz dans un ordre défini qui convenait aux esprits frappeurs. De Haircut à You Can Dance, on retenait une chose  : le tumulte et la chaleur, la trépidation urbaine, le mouvement ininterrompu. Voici le trio devenu TCO. Tout change, puisque l’électricité s’efface et que parfois le silence règne, irisé d’accélérations soudaines telle l’abrupte visite de « Turmi  », bourg marchand éthiopien. L’occasion pour le piano et la guitare de se disputer une tournerie lancinante et de guingois, qui saisit l’auditeur comme si elle recherchait la transe.

Mais en réalité, rien ne change vraiment. C’est connu chez Homère comme au scrabble  : chaque anagramme se voit assigner les propriétés de ses contraires abandonnés dans son ADN. C’est ainsi que « Qeqertarsuatsiaat », petit village du Groenland, est une vague d’énergie rock tenue par un Peter Orins impeccable, assez proche de ce qu’il proposait dans Empty Orchestra. Avec Qeqertarsuatsiaat - l’album -, le trio délaisse les villes-lumière pour les bouts du monde. Les caps, les bandes de désert, les relais des landes lointaines. Pour décrire ces endroits, les trois musiciens choisissent l’approche topographique, si ce n’est photographique. Ainsi, dans « Dianet » qui ouvre l’album, la batterie et la guitare qui émergent du néant disent le silence brûlant balayé par le vent et les climats hostiles. Peu éloigné, au fond, des jungles urbaines… Même s’ils n’ont pas l’éclat de la version électrique de TOC, lorsque le Fender de Ternoy fusionnait avec Cruz.

Ici, c’est avec les percussions que le clavier fait langue commune, en jouant énormément des cordes étouffées au tréfonds de son piano, nonobstant le propos très collectif. TOC présentait une vision syncrétique de la musique, où pouvait se croiser des atomes de rock progressif et de métal, marqué par l’électronique. En débranchant les instruments et en rangeant les pédales, Ternoy Cruz et Orins ne quittent pas complètement cet univers. On perçoit dans la masse stridente de « Gilgit » puis dans les boucles minimalistes de « Rytkuchi », ce petit bout de glace au nord d’Hokkaido, la volonté de poursuivre dans la même direction comme pour voir au-delà, aux confins. Dans ces patelins qu’on aime à mettre sur la platine. Pas de raisons d’arrêter là les anagrammes.