Chronique

The Amazing Keystone Big Band

Pierre et le Loup... et le Jazz !

Label / Distribution : Le Chant du Monde

Parmi les disques que tout enfant de mélomane se doit de recevoir en guise de trousseau, le célèbre conte de Sergueï Prokofiev Pierre et le loup fait office de passage obligé. Une génération entière aura été bercée par la voix à la diction parfaite de Gérard Philippe ou la fougue de Jacques Brel. Leurs enfants ont eu le choix entre de belles versions iconoclastes (Morel et Saladin) ou d’autres plus hasardeuses (Michel Drucker ou Eddy Mitchell...). Mais elles présentaient uniquement l’orchestre symphonique, son basson et son hautbois, ses cors et ses timbales...

Il aura donc fallu attendre soixante-quinze ans pour que s’organise la rencontre de Pierre et toute sa ménagerie avec un orchestre ellingtonien, en l’occurrence The Amazing Keystone Big Band. En s’emparant de cette œuvre patrimoniale, ces tout juste trentenaires offrent aux gamins (et à bon nombre de parents) une intelligente introduction au jazz qui, en plongeant ainsi au cœur vibrant de l’orchestre, évite toute forme de cliché. Il n’y a pas méthode plus radicale pour apprendre à nager. Fondé il y a à peine trois ans, ce big band est une machinerie efficace et huilée qui s’est assigné un rôle pédagogique. Outre cette version de Pierre et le loup, contée par Denis Podalydès et Leslie Menu et joliment illustré par Martin Jarrie, il a conçu un programme Jazz et Cinéma pour le festival La Musique des Cuivres du Monastier.

Le respect du récit original de Prokofiev est certes un tour de force de la part du trio d’arrangeurs (Bastien Ballaz, tromboniste de Ping Machine et loup tonitruant, Jon Boutellier, merveilleux en chat agile et Fred Nardin, pianiste espiègle...) ; mais l’orchestre entier est impressionnant, à la fois par la puissance de sa masse orchestrale et par la palette de son répertoire. De la douceur nonchalante du canard fendant une onde apaisée à la Bill Evans jusqu’à la causticité zappaïenne du loup capturé, le Keystone sait muter en quelques secondes sans jamais s’éparpiller. A la fin de l’histoire, l’orchestre s’offre même une suite inspirée des thèmes de Prokofiev, comme une mise en pratique immédiate de la leçon ludique ; un mouvement comme « Hunter’s Blues » permet d’apprécier le remarquable contrebassiste Patrick Maradan qui donne, au long du conte, toute son énergie à Pierre.

Parfois, lorsque l’infortuné canard finit entre les crocs des trombones carnassiers, par exemple, ce big band exprime une intensité dramatique supérieure à celle de l’orchestre symphonique. En insufflant du mouvement au conte, le Keystone donne une énergie nouvelle à Pierre, et coexiste en bonne harmonie avec les versions plus traditionnelles. C’est en tout cas l’avis de l’enfant de trois ans qui a conseillé son papa dans l’écriture de cette chronique. Bon sang ne saurait mentir...

par Franpi Barriaux // Publié le 23 décembre 2013
P.-S. :

Vincent Labarre, Thierry Seneau, Félicien Bouchot, David Enhco (tp, flh), Bastien Ballaz, Loïc Bachevillier, Aloïs Benoit (tb), Sylvain Thomas (tu, btb), Ghyslain Regard (fl), Kenny Jeanney (as, ss), Pierre Desassis (as, cl), Jon Bouteiller, Eric Prost (ts), Jean-Philippe Scali (bs, bcl), Thibaut François (g), Frédéric Nardin (cla), Patrick Maradan (b), Romain Sarron (dms)