Chronique

The Dave Brubeck Quartet

Dave digs Disney

Label / Distribution : Columbia Jazz / Sony

Dave Brubeck est un des musiciens les plus persévérants du jazz. Non content de nous avoir donné des tubes mondiaux et de nous avoir fait découvrir le singulier Paul Desmond, à plus de quatre-vingt-dix ans il ne raccroche toujours pas. Capable d’un toucher infiniment délicat, ce pianiste s’abandonne volontiers au rythme, avec un sens inné du martèlement, traversé d’une fougue expressive qui ne manque pas d’éclat. Son savoir-faire est d’autant plus épatant dans cet album de 1957 qu‘il tranche avec les thèmes de dessins animés et l’image fleur bleue qui nous en reste.
« Dave Digs Disney » ? For sure !

Disney savait repérer les talents, les compositeurs éclectiques, adaptables, comme les frères Sherman qui s’illustrèrent dans les comédies musicales cultes (Mary Poppins, Le livre de la Jungle).
Le quartet Brubeck/Desmond s’affirme dans cet album de grands thèmes issus des premiers dessins animés de Disney. Toujours vaillant, Brubeck raconte qu’au cours de ses innombrables tournées en break familial, ses enfants et lui écoutaient sans relâche les Walt Disney Golden Records. Ces airs ont fini par s’imposer définitivement dans sa mémoire, mais aussi dans celle de son alter ego altiste. Tous deux ont donc réuni suffisamment de matériau pour constituer un beau disque « mémorial », où les « alternate takes » ont leur place, à part égale, avec les versions conservées.

Ici, cette musique de studios, de films pour enfants, n’a plus rien de la bluette : le quartet mythique en fait tout autre chose, à l’image de Bill Evans “retouchant” le thème de Michel Legrand « You Must Believe in Spring », sur l’album éponyme, terriblement élégiaque (d’autant qu’il est posthume). On est donc agréablement surpris de retrouver le « Heigh Ho » des nains de Blanche-Neige qui « rentrent du boulot », les « alternate takes » de « Someday My Prince Will Come » et une « Alice in Wonderland » transformée en valse jazz comme les affectionnait particulièrement le lunaire Paul Desmond, mais encore « When You Wish Upon a Star » (Pinocchio).

Ce disque où Brubeck met à profit son sens très particulier de « l’entertainment » révèle un Paul Desmond aérien, sublime, léger, très à son avantage, avec cette féminité que fait remarquer Alain Gerber dans le portrait remarquable qu’il lui a consacré. Bien entendu, aucune urgence ici : il s’adresse avant tout aux fans qui, convaincus d’avance, n’en auront pas attendu la chronique. Et on les comprend, tant le cœur s’exalte dès les notes inaugurales du premier morceau. La nostalgie est essentielle. Donc l’urgence attendra.