Sur la platine

The Same Is Always Different

Deux solos en confinement : Susana Santos Silva et Steve Lehman.


La COVID a été -est toujours- un sujet présent dans nos vies, principalement pendant la période de confinement généralisée d’avril et mai 2020 où soudainement, et violemment, tout le monde s’est retrouvé enfermé chez soi, prisonniers volontaires mais sans horizon. C’est particulièrement sensible pour les musiciens, habitués à parcourir le monde et qui se nourrissent de ce permanent mouvement. Comme tout changement brusque de la société, il devait s’illustrer dans la création, fût-ce de manière embryonnaire. C’est avec deux musiciens, l’une européenne et l’autre étasunien que les premières réponses sont arrivées sur BandCamp. Susana Santos Silva était dans son appartement de Porto, et Steve Lehman sur le siège passager de sa vieille Honda. On fait comme on peut.

Traduire, c’est le mantra de Susana Santos Silva dans son The Same is Always Different. Traduire la sidération, la lassitude qui a pris chacun d’entre nous durant ce confinement. Traduire, même si le verbe est court et fastidieux. Qui n’a pas été surpris par cette monotonie étouffante pendant cette période ? Armée de sa seule trompette, la jeune Portugaise pose une question à la portée philosophique cruciale : est-ce que ce que l’on appelle monotonie est toujours un éternel recommencement ? La trompette est un bourdon qui s’étend dans le temps : « The » qui dure plus d’une vingtaine de minutes étudie justement ce son qui s’étend, ce délite et finalement fluctue, crée de petites oscillations, de petits changements, des légères saturations qui démontrent que tout n’est pas linéaire, même l’absence de mouvement et d’interactions.

« The Same », plus doux, moins agressif dans sa passivité lui répond, et incarne la langueur, tout comme « is » qui joue avec les sifflements de l’embouchure comme une micro-tempête intérieure. Susana Santos Silva arrive à retranscrire les étapes par lesquelles nous sommes tous plus ou moins passés dans cet exil intérieur, et c’est intéressant et émouvant de les revivre à froid… avant le prochain confinement.

Steve Lehman a, quant à lui, une autre lecture de la période. Soliste lui aussi, avec son alto et son téléphone portable, le saxophoniste traduit une certaine trépidation. Il n’est pas seul, il a ses enfants qui vont toujours à l’école et une mère qui a fêté ses 80 ans durant la période. Ce confinement, Lehman l’a vécu très différemment de sa consœur, et cela se ressent dans la forme de Xenakis and the Valedictorian. Les morceaux sont courts, de petites vignettes que l’on imagine volées à un emploi du temps chargé, entre deux trajets pour gérer les besoins des différentes générations. « 2 Gears/13 Satellites » est un morceau plein de tension qui dure à peine plus d’une minute, le temps d’une pensée fugace. Idem pour « Flutter » qui explose en à peine 30 secondes dans un brouillard de anches. Jusqu’à « CR-V » qui joue avec chacun des tampons, comme un apaisement.

Xenakis and the Valedictorian est l’occasion pour Lehman de se souvenir. De penser à sa mère, qui lui a fait découvrir tant de musiques différentes, de Sugarhill Gang à Meredith Monk en passant, vous l’aurez compris, par Iannis Xenakis. À travers ses courts exercices, Steve Lehman laisse vagabonder ses pensées ; il s’échappe sur le siège de son véhicule arrêté pour visiter sa mémoire. C’était aussi une de nos occupations nécessaires. Et c’est très enrichissant d’entendre de tels artistes le sublimer.