Chronique

Theorem of Joy

L’Hiver

Thomas Julienne (b), Ellinoa (voc), Héloïse Lefebvre (vln), Antonin Fresson (g), Tom Peyron (dms) + invités

Label / Distribution : Déluge/Socadisc

Il est de ces disques où l’on se dit, à la première écoute, que si la pop n’avait pas globalement vendu l’ensemble de ses charmes au commerce et à la facilité, si par une uchronie spéciale on avait préféré laisser davantage de place à Canterbury et Hérouville et moins aux hypermarchés périphériques interchangeables, le paysage des musiques transverses ressemblerait à ça : la voix d’Ellinoa et de Loïs Le Van, la guitare d’Antonin Fresson, l’accordéon de Laurent Derache et le quatuor à cordes des Enfants d’Icare sur « L’Hiver » qui donne son titre à ce nouvel album de Theorem of Joy, avec les textes et les partitions luxueuses du contrebassiste Thomas Julienne. Et puis on se ressaisit : la pop raffinée et orchestrale sans sucres inutiles a toujours été un fantasme ou un épiphénomène, et le commerce a toujours été le commerce. Simplement Julienne et ses compagnons ont délibérément choisi leur camp.

« De l’autre côté du silence », Thomas Julienne poursuit son chemin tout à fait personnel, avec des musiciens qui le suivent jusqu’au bout de ses hybridations, notamment grâce au travail remarquable de la percussionniste Anissa Nehari, invitée sur deux morceaux. Il est absolument et totalement à la manœuvre, jusque dans les textes. Sur la base rythmique aussi, qu’il dirige avec beaucoup de fluidité, se chargeant des climats avec Tom Peyron, batteur très impressionniste ; contrairement au premier album où sa touche était marquante dans l’album, Ellinoa est dans un rôle d’instrumentiste, ce qui ne l’empêche pas d’influer sur la couleur de l’orchestre (« Little Cloud »). Mais avec le violoniste Boris Lamerant et le quatuor à cordes, Julienne construit des chansons faussement simples, qui s’avèrent diablement ouvragées, et s’imbriquent avec beaucoup d’intelligence. L’Hiver n’est pas du genre à rendre son verdict à la première écoute, en témoigne « Convergence » le bien nommé qui clôt l’album sur une atmosphère ouatée, entre chanson et musique sans frontières définies. Une musique de crête, en version ligne claire et épurée, qui ne s’interdit rien, pas même d’exploser la douceur alentour avec le feulement groove du trombone de Sébastien Llado (« Tomorrow Riots »).

Ils sont beaucoup sur cet album : Loïs Le Van, Ellinoa, Olive Perrusson, Julienne lui-même... à s’être nourris à la pop et à le revendiquer, sans rien abdiquer ni adoucir de leurs envies musicales. Ils sont nombreux à s’affranchir des codes et à se réinventer sans s’affadir ou se soucier des cases. Ce disque en est un brillant exemple, théoriquement joyeux, élégant et plein d’enthousiasme. Diablement malin et jouant avec les codes aussi. Une musique qui ne cherche pas à plaire à tout prix mais qui séduit quand même parce que justement, elle est brillante mais pas clinquante. L’hiver est chaleureux comme une fin de printemps. Voilà encore qui va affoler les horloges. Et les boussoles. Ce qui n’est pas sans nous réjouir.

par Franpi Barriaux // Publié le 12 septembre 2021
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