Chronique

Theresa Wong & Frantz Loriot

Live at Zoom in

Theresa Wong (cello), Frantz Loriot (vla)

Label / Distribution : Creative Sources

C’est dans un festival à Berne en 2017 que s’est produite la rencontre de la violoncelliste Theresa Wong avec l’altiste Frantz Loriot, mais elle aurait pu se faire partout ailleurs. C’est la certitude, et même l’évidence, quand la voix de l’improvisatrice introduit un brouillard de cordes et un son à pétrir. Loriot fouille sur les cordes rauques de son instrument, l’archet heurte les cordes comme on perce les entrailles d’un animal magique, à la recherche d’une gemme précieuse. On pense dans un premier temps qu’il y a beaucoup de retenue, et ça revient par vagues, délicieusement cryptiques, où le violoncelle lutte avec la voix de Wong ; une voix intérieure qui marmotte. Un son de gorge qui ne cherche même pas les phonèmes et psalmodie presque en dedans, puis s’éteint comme une baudruche qui crève d’un trait d’archet dissonant sur l’alto qui nous emmène ailleurs.

On pense à Joëlle Léandre, bien sûr, qui influence largement ces deux improvisateurs, mais il y a bien longtemps qu’ils se sont affranchis du travail des autres et ont trouvé leur propre langage : si l’on trouve chez eux la même intensité que chez leur glorieuse aînée, la tonalité est différente, et pas seulement du fait des instruments en présence. Après quelques orages, et même un long remous qui ballotte l’auditeur dans une mer d’incertitude, on en revient à un certain calme. Le chant s’est tu ou se fait plus lointain et plus aigu, laissant place à l’archet du violoncelle en toile de fond et à un alto qui agit comme la foudre, sans qu’on sache où cela peut tomber, après un long roulement qui nous tient toujours aux aguets. Les éléments se déchaînent : après cet orage de sécheresse, on en revient à une brume épaisse et cotonneuse, dans ce qu’elle a de plus étouffant.

Le brouillard est un élément qui sied à Theresa Wong. On a déjà entendu l’Américaine en deviser avec la performeuse Ellen Fullman, qui tend des cordes de piano sur plusieurs mètres, dans l’album Harbours. Encore trop négligée en France, la carrière de la violoncelliste est remarquable, de Fred Frith à un album chez Tzadik. Live at Zoom In est l’occasion de rattraper ce retard en découvrant une synergie pleine de poésie et de respect. On ne s’étonnera pas de voir figurer ce disque au catalogue de Creative Sources, le label d’Ernesto Rodrigues étant bien décidé à documenter toutes les cordes. Un tel duo ne se laisse pas passer.

par Franpi Barriaux // Publié le 13 décembre 2020
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