Chronique

Thierry Maillard

Il Canto Delle Montagne

Thierry Maillard (p), Dominique Di Piazza (elb), André Ceccarelli (dms).

Label / Distribution : Ilona Records

Thierry Maillard est un musicien de contrastes. Il n’y a pas si longtemps – c’était l’année dernière – le pianiste avait accompli un vieux rêve en associant sa musique à celle d’un orchestre symphonique. Ainsi était né The Kingdom Of Arwen (Naïve), son douzième disque, dont l’onirisme céleste avait en outre bénéficié du concours de quelques pointures jamais en manque d’élévation, tel Dominique Di Piazza ou encore le stratosphérique Nguyên Lê et ses flammèches électriques de toute beauté. Mais cette fois, avec Il Canto Delle Montagne qui, par son seul titre, suggère une profonde respiration et plus que jamais un regard tourné vers le ciel, il n’est plus question de grande formation, du moins par le nombre. Retour au trio – c’était la formule de Paris New-York, son premier disque avec John Patitucci et Dennis Chambers en 1997 – et pas n’importe lequel puisque Thierry Maillard a fait appel à une cellule rythmique qui à elle seule est l’expression d’un chant. On retrouve le flamboyant Di Piazza et ses élans en forme de morceaux de bravoure tout aussi mélodiques que rythmiques aux côtés de celui qu’on pourrait définir comme le sage de la pulsation, histoire de ne pas lui rappeler qu’il fait désormais partie du club des anciens. Souple et puissant à la fois, André Ceccarelli répond présent, avec la science paisible du groove qu’on lui connaît, à l’appel d’une musique qui se révèle plus que jamais vibratoire. Et pour cause...

Si ce disque a été enregistré au mois d’avril 2016, il est important de rappeler qu’une partie de son répertoire fut composée lors du weekend des attentats ayant ensanglanté Paris en novembre 2015. D’où la présence d’une composition dont le titre, « Plus jamais pareil », est porteur de bien des émotions que nous avons malheureusement connues. Pourtant, le pathos et les bons sentiments semblent bien absents de ces quinze histoires qui sont autant de voyages d’un continent à l’autre ou à l’intérieur de soi (sans oublier la chanson de Francis Lemarque « À Paris » qui vient conclure cet hommage et trouve là une place naturelle). En effet, pas de mélodies larmoyantes dans Il Canto Delle Montagne, Thierry Maillard ayant visiblement souhaité serrer les poings, repartir de plus belle et composer une musique qui s’inscrive à la croisée de ses chemins, comme témoignage d’une nécessaire union. L’homme a une formation classique et la dimension impressionniste de certains thèmes nous le rappelle sans ambiguïté (« Lullaby » et son romantisme assumé en sont l’illustration). Son jazz fourmille de mille palpitations, comme en témoignent « My Own Jazz » ou « Réunion ». Enfin, les thèmes élaborés par Thierry Maillard ont souvent des allures de pop songs (« Viking Song », « Le lac de Côme »), ce qui n’étonnera personne car, après tout, il est bien question de chansons dans ce disque. L’interprétation, elle aussi au sommet, est empreinte d’une gravité porteuse d’émotion sans pour autant être cérémonieuse (« Il Canto Delle Montagne »). Surtout, elle souligne la brillance des trois voix qui s’expriment et la profondeur de leurs chants respectifs. Et puis, disons-le tout net : le pianiste a rarement été en si belle forme, tant on ressent chez lui le besoin d’illuminer son jeu, de lui insuffler une force vitale et de pousser ses deux camarades au meilleur (Dominique Di Piazza est éblouissant du début à la fin, il est bon de le souligner). C’est l’union sacrée, en quelque sorte, pour des raisons de survie. Les quelque soixante-dix minutes de l’album passent à la vitesse de l’éclair et ne secrètent jamais le moindre ennui, même lorsqu’une composition a pour titre « Le temps qui passe » !

L’heure n’est pas venue d’établir des palmarès mais tout de même... Il Canto Delle Montagne, ce beau chant venu des sommets, pourrait bien s’avérer l’un des plus beaux disques de Thierry Maillard. Le meilleur ? Pas impossible... Une certitude : sa musique respire, diffuse une lumière irisée et transmet une énergie salutaire à celui ou celle qui la recevra. Il démontre par les actes que le renoncement face à l’adversité ne peut être de mise. Bien au contraire : la solidarité affichée ici par le trio est exemplaire, son jazz n’est rien d’autre qu’une leçon de vie.