Sur la platine

Tiri Carreras : la batterie détournée

Batteur atypique, Tiri Carreras en quelques enregistrements.


Personnalité inconnue du grand public, Tiri Carreras mériterait pourtant de rencontrer la considération de ses semblables. Certes, la plupart seraient déroutés par son jeu atypique et crieraient que ce n’est pas de la musique. Peut-être, c’est à voir. Tout le monde s’accorderait, en revanche, à dire que ce qu’il joue est inclassable, voire que ce qu’il produit avec sa batterie est unique. Certains pourraient même dire que ce qu’il fait est grandiose.

Co-fondateur du collectif XoNdZf, Tiri Carreras participe à des formations qui ont pour nom : bBlunk, zblug, zVeep, bBrrAx, Van Beulk, Van zblic, eRraTz, aussi illisibles qu’imprononçables mais qui dénotent un humour certain et une créativité hors des normes, une volonté en tout cas de se positionner sur les marges dans les domaines qu’on peut qualifier de musique acousmatique, musique concrète, musique improvisée. Proche collaborateur de Benjamin Duboc, Sylvain Guérineau ou Dom Dubois-Taine, avec qui il se produit régulièrement, Tiri Carreras a une approche personnelle de la batterie et des percussions.

Ne cherchant pas, en effet, la rythmique comme fondement de sa pratique, il s’attelle plutôt à échafauder une dimension sculpturale de son instrument. À partir de frottements, de grincements, de raclages de peaux, il édifie des constructions compactes et mobiles dans lesquelles on décèle une quantité de détails. Cette musique de la masse, tellurique par sa puissance et son assise solide, se meut au fil de son évolution et génère des grondements prégnants ou de lointaines rumeurs diffuses avec une volonté d’avancée qui la rend particulièrement dynamique.

Car Tiri Carreras ne se contente pas de faire du bruit. En authentique concepteur-ordonnateur de son - en musicien en somme -, il dessine des paysages, trace des lignes fortes à gros grain tandis qu’évoluent de fines lignes métalliques, parfois proches de l’inaudible. Le tout, bien sûr, se croisant ou se chevauchant en permanence, dans une évolution générée par sa propre édification. Il en résulte un remplissage de l’espace sonore dans cette attention portée au timbre et pour l’auditeur, une jouissance immédiate du son en tant que tel dont le geste sûr et les capacités démiurgiques de Carreras rendent compte.

O’pLoft / bBlunk (2021 Elektra Music)
Duo acoustique avec Dom Dubois-Taine. Le pianiste fouille dans le corps de son instrument et le batteur le rejoint. Entre errance mélodique et galerie longuement creusée.

zBlug / Licchens (2021 Elektra Music)
La version électro acoustique du duo précédent. Dom Dubois-Taine est aux machines. Les sons synthétiques et acoustiques se complètent dans une hybridation bicéphale.

Magmatique Sylvain Guérineau Tiri Carreras
Enregistré il y a une petite dizaine d’années, ce duo post-coltranien, par l’épaisseur du saxophone de Guérineau et une batterie évoquant la polyrythmie d’Elvin Jones est sans doute la formation la plus « classiquement jazz » de Carreras. On y trouve une tension qui ne faiblit pas et ce besoin d’aller saisir les paroxysmes et épuiser l’intensité.

Élan vital (Petit Label, 2021)
On compte plusieurs captations solo du travail de Carreras (Live à la guillotine et Aquasmatique en 2022) mais Élan vital est certainement la master piece. En seulement quatre pistes, il dit tout de son geste poétique. Variations des timbres, multiplicités de signaux sonores, mobilité des positionnements de chacun d’entre eux, le catalogue de son savoir-faire est ici exposé et le place définitivement parmi les musiciens audacieux de notre époque.