Chronique

Tomas Fujiwara

Triple Double

Tomas Fujiwara (dm), Gerald Cleaver (dm), Mary Halvorson (elg), Brandon Seabrook (elg), Ralph Alessi (tp), Taylor Ho Bynum (cnt)

Label / Distribution : Firehouse 12 / Orkhêstra

De famille, il est beaucoup question avec ce disque. Tout d’abord parce que Tomas Fujiwara le dédie à ses 4 grand-mères [1]. Mais aussi parce que, parmi tous les musiciens marquants ayant investi la scène du jazz et des musiques improvisées ces dernières années, on a découvert une sorte de famille qui comprend notamment Mary Halvorson, Tomas Fujiwara et Taylor Ho Bynum (auxquels il faut ajouter Jessica Pavone). Ces trois-là jouent très régulièrement ensemble, dans différentes formations menées par eux ou par d’autres musiciens, notamment Anthony Braxton. Le batteur Tomas Fujiwara est peut-être le moins connu des trois et c’est regrettable car il a déjà à son actif de très beaux disques comme co-leader en trio avec Thumbscrew (aux côtés d’Halvorson et Michael Formanek) ou The Out Louds (avec Halvorson et Ben Goldberg), en duo avec Bynum ou avec le quartet Illegal Crowns (Halvorson, Bynum et Benoît Delbecq) mais aussi en tant que leader, notamment avec The Hook Up ou son trio au sein duquel il est accompagné de Brandon Seabrook et Ralph Alessi, deux membres de ce nouveau Triple Double, aux côtés des habituels Bynum et Halvorson et du batteur Gerald Cleaver.

Comme l’explique le batteur, la bourse de la Tri-Centric Foundation d’Anthony Braxton lui a permis de réaliser ce projet de Triple Double, trois duos en miroir, jouant sur les approches instrumentales totalement différentes de chacun des musiciens composant les paires. Comme nous l’évoquions plus haut, Tomas Fujiwara joue avec Seabrook et Alessi au sein de son trio, mais a également joué en trio, notamment, avec Bynum et Halvorson. Il connaît donc parfaitement ses partenaires et réalise un rêve en jouant aux côtés de Gerald Cleaver, un de ses héros.

Ce Triple Double s’avère être un groupe à géométrie variable. Fujiwara creuse chaque configuration, duos, trios, quartets, quintets, sextets. Parfois en naissent de beaux unissons, ailleurs la musique se construit dans la confrontation, dans les contrastes. Et de contrastes, ce disque n’en manque pas, tant les musiciens réunis par le batteur sont différents et uniques. Que ce soit Halvorson à la singularité lumineuse et Seabrook qui malaxe jazz, rock et punk avec bonheur, ou Alessi et Bynum, deux grands instrumentistes à l’approche si différente, il y a là de fortes personnalités, des artistes dont le langage est singulier et dont l’association s’avère fructueuse. Au-delà de ces considérations sur la forme - ou plutôt les formes -, Triple Double est une très belle réussite car Tomas Fujiwara a créé une véritable osmose et trouvé un bel équilibre au sein de son groupe, profitant pleinement des possibilités offertes par ses partenaires pour servir sa musique. Elle s’enrichit des ces configurations multiples et variables sans perdre une cohérence remarquable, et ce, quelles que soient les atmosphères. Les compositions sont de qualités (« Love And Protest » ou « Diving Quarters »), les deux batteurs font un travail exemplaire (« For Alan ») : l’auditeur a l’impression d’une musique en perpétuel mouvement et chaque soliste vient s’intégrer dans cet ensemble sans jamais se départir de sa singularité. Il y a ici beaucoup de liberté et une grande écoute pour livrer un disque que l’on déguste et explore au fur et à mesure.

par Julien Gros-Burdet // Publié le 11 mars 2018
P.-S. :

[1La Française, qu’il n’a jamais connue, la Japonaise, qui vit toujours à côté du temple bouddhiste où son grand-père était moine, et ses deux belles-grand-mères, l’Américaine qui l’a toujours traité comme son petit-fils et l’Iranienne disparue il y a peu après une vie extrêmement riche.