Chronique

Tomas Fujiwara & The Hook Up

After All is Said

Tomas Fujiwara (dms), Mary Halvorson (g), Michael Formanek (b), Jonathan Finlayson (tp), Brian Settles (ts, fl)

Label / Distribution : 482 MUSIC

Tomas Fujiwara est l’exemple même de ces musiciens de la côte est américaine qui mériteraient un peu plus de lumière de ce côté-ci de l’océan. Impliqué dans de nombreuses aventures avec Mary Halvorson qui partage à la fois le trio Thumbscrew avec le contrebassiste Michael Formanek et ce présent quintet The Hook Up, Fujiwara est également un habitué des orchestres de Taylor Ho Bynum. C’est aussi un collaborateur occasionnel d’Anthony Braxton, avec qui il a enregistré le remarqué Trio (New Haven) 2013 avec Tom Rainey. Un membre éminent de cette famille de musiciens, donc, auxquels on peut également ajouter le trompettiste Jonathan Finlayson, une pièce maîtresse de ce remarquable After All She Said. « The Comb  », lyrique hommage de résistance à l’oppression, est l’occasion de se mesurer à l’unité fondatrice de la batterie avec la guitare et la contrebasse. A plusieurs reprises, notamment dans « The Hook Up  », il est celui qui relance la machine, offre de nouvelles pistes à la rythmique gourmande.

On retrouve dans le quintet la puissance de Thumbscrew, mais le rapport de force a changé ; l’acrimonie a laissé place à une forme de complexité. Fujiwara ne soutient pas unilatéralement le dialogue entre la basse sèche de Formanek et les tirades méandriques d’Halvorson. Le jeu du batteur est à la fois plus mélodiste et plus directif. Il se laisse même aller à un délicieux solo référentiel, « For Tom and Gerald  » dédié à ses maîtres. Fujiwara doit beaucoup à Rainey et Cleaver : du premier, il a pris cette capacité à rester mélodique en toutes circonstances, y compris les plus complexes. Du second, l’élégance fulminante qui peut exploser en une frappe et s’engager à un solo rageur. Quant à la guitariste, elle sait toujours renverser la table quand il le faut et se placer en pointe d’un propos volontairement agressif (« Boaster’s Roast  », incontestablement le sommet de ce disque) où les soufflants viennent illuminer d’une unité à toute épreuve. Mais dans un morceau comme « Lastly  », Halvorson souligne, commente, voire se faufile entre la contrebasse et la flûte de Brian Settles, retrouvant ainsi ce goût pour l’ornementation tourmentée qui maintient l’orchestre dans une tension créatrice.

Déjà présent sur The Air is Different, le premier disque de The Hook Up (seul Formanek a remplacé Trevor Dunn dans un registre moins belliqueux), Settles est la grande découverte de cet album. Sur « Solar Wind  », il sculpte avec beaucoup d’à-propos la masse de l’orchestre où les cordes se confondent. Les fortes personnalités des membres du quintet se fondent avec aisance dans un propos très collectif ou prime l’équilibre des forces. Lorsque Mary Halvorson entame « When  » avec un riff digne d’un rock acide, elle ne fait que définir avec précision la marge de manœuvre de chacun pour que tout concorde. After All is Said est un album à l’image des musiciens qui l’animent  : brillant et raffiné, familier en restant plein de surprises. Tout est dit.