Chronique

Tommy Meier Root Down

The Master And The Rain

Label / Distribution : Intakt Records

Passionné d’Afrique, le multianchiste suisse Tommy Meier dirige depuis 2004 le Root Down, une grand formation de 16 musiciens qui tente d’établir un syncrétisme entre la puissance polyrythmique des musiques africaines (prises dans leur diversité, du Cap jusqu’au Sahara) et le raffinement de la musique orchestrale occidentale (prise dans son ensemble, de Vienne jusqu’à Chicago…). Après un premier album studio en 2007, le Root Down revient avec The Master and The Rain apporter un témoignage scénique de cette hybridation, servie par des improvisateurs de premier plan tel le saxophoniste Co Streiff, autre prestigieuse signature du label allemand Intakt.

Très marquée par le festival de Willisau, la ville qui l’a vu naître, la musique de Meier emprunte aussi beaucoup à Sun Ra (le très intéressant « Jackals, Children, Everything ») et à Chris McGregor. L’âme du pianiste de Brotherhood of Breath est d’ailleurs prédominante, tant dans la reprise de « The Bride » que dans l’ensemble des compositions. Root Down aborde la musique africaine sous l’angle énamouré du voyageur persuadé d’embrasser la culture quand il ne la survole qu’à peine. Cela ne remet pas en cause la qualité de certaines pièces : « Ogoni », très abouti, véritable pépite de l’album, offre en ouverture un brillant panorama de la force de frappe de l’orchestre et souligne le talent de la pianiste Irène Schweizer. Mais les reprises de morceaux mythiques de Fela (« Colonial Mentality » et surtout « No Agreement ») montrent la limite de la démarche. En sacrifiant la force brute du groove sur l’autel d’une subtilité qui tourne au maniérisme, Meier engonce Root Down dans un cadre trop empesé ; un paradoxe pour une musique de libération !

Il faut pourtant lui reconnaître de grandes qualités d’arrangeur ; « The Camel Dance », jouant à la fois sur la compacité de l’orchestre et la rigueur rythmique de Fredi Flükiger à la batterie et Chris Jäger aux percussions, est plein de subtilité. De même, la finesse de ses interventions, notamment ses solos de clarinette sur « The Root », donne réellement envie de le suivre dans ses pérégrinations et ne laisse planer aucun doute sur sa sincérité. Mais l’altérité ne se décrète pas ; elle nécessite, à l’instar de la démarche d’Archimusic, d’aller se confronter à la musique que l’on souhaite jouer. « Qui trop embrasse, mal étreint » dit la prétendue sagesse populaire ; il se pourrait qu’en l’occurrence, elle soit pour une fois pertinente.

par Franpi Barriaux // Publié le 29 novembre 2010
P.-S. :

Tommy Meier (ts, bcl, zurna, comp) ; Russ Johnson (tp), Marco Von Orelli (tp), Co Streiff (as, ss), Peter landis (ts, bs), Hans Hanliker (tb), Michael Flury (tb), Irène Schweizer (p), Hans-Peter Pfammatter (cla), Luca Sisera (b), Flo Goette (b), Fredi Flükiger (dms, perc), Chris Jäger (perc), Trixa Arnold (turntables), sur 4 et 9 : Stephan Thelen (g), Jan Schlegel (b), Hubert Kramis (b), Marco Kappeli (dms), Peter Schärli (tp), Andi Marti (tb), Jurg Wickihalder (ss), Chris Wiesendanger (cla)