Avec son dernier album, Laurent Dehors nous amène vers rien de moins que la vie depuis l’avant-naissance jusqu’à son terme. Il faut avoir en tête ce parti-pris narratif avant de s’attaquer aux Sons de la vie. Car ce projet, comme souvent chez ce musicien, n’est pas simple d’approche et le saxophoniste - en fait, poly-instrumentiste - et leader de Tous Dehors ne fait pas dans la concession. Sa musique est entière, au point précisément de pouvoir déranger. Et c’est tant mieux. Mais, en occultant le récit, on passerait à côté. Car savoir ce qu’on nous raconte est indispensable pour la compréhension et l’appréciation de cette musique. On n’aurait, en outre, qu’une vague conscience de la charge d’humour dont elle est constituée.
En témoigne, entre autres, la deuxième piste, intitulée « La course des spermatozoïdes ». Les sons nerveux, aigus, torturés, sont-ils autant de cellules qui filent dans des milliers de sens différents ? Vraisemblablement. La dissonance, la polyrythmie, évoquent-elles des spermatozoïdes dont les trajets sont indépendants les uns des autres ? Très certainement et on n’ose imaginer la partition pour rendre compte d’un tel foisonnement. A s’arracher les cheveux. Et pourtant, c’est plein de malice et, à travers une esthétique où les sons sont chahutés, Laurent Dehors nous fait sourire. Bien entendu, après les spermatozoïdes, arrive « Gestation ». Le morceau est plus calme. Quoique… Si le flux est moins débordant, il y a quelques fulgurances dont on veut volontiers croire qu’elles sont autant de connexions en train de se réaliser. Les toutes premières mesures, explosives, sont comme un plongeon. Ensuite, c’est une succession de bribes, fragments, résidus, éclats qui, dans ce maelström, nous indiquent la vie en train de se faire.
Et c’est ce fil conducteur qui nous amène, en passant par « La chambre des enfants », « J’ai trois ans, je dis non ! » ou encore le très sensuel « Toi »…, jusqu’à l’évocation de la vieillesse. Les deux derniers titres y font explicitement référence. Ainsi, dans « Triste », le tempo est carrément ralenti. On y expire avec mélancolie. Mais c’est avec « Encore un peu » – quel titre ! – que se clôt l’album. Or, on note que ce morceau, ultime geste pour se raccrocher à la vie, est le plus long du disque. Incomparablement d’ailleurs. Car autant les autres pistes sont relativement courtes – entre 1’16 et 6’04 –, autant ce refus de mourir dure 12’. Et, là où on attendait une composition entre chagrin et nostalgie, on a un morceau tonique, avec souvent un penchant rock clairement prononcé. Peut-être parce qu’il y est question, moins de se cramponner à la vie que d’en profiter pleinement ?