Scènes

Tristan Macé « Illaps » au Sunset

Une soirée remportée en trois sets gagnants ou comment Illaps - la formation pas banale de Tristan Macé - a su imposer son jeu.


Une soirée remportée en trois sets gagnants ou comment Illaps - la formation pas banale de Tristan Macé - a su imposer son jeu.

Je crois que c’est Serge Daney qui disait qu’une partie de tennis a ceci de commun avec un film qu’on sait dès les premières minutes si on passera un bon moment ou non.
Ce soir de 21 septembre 2010, Tristan Macé – ex Ojan Septet – présente son visage aigu d’oiseau chétif et ses allures de matou matois - un peu à la Miloslav Mécir – au public du Sunset. Une première intervention pour distiller humour et finesse au micro, définissant les règles et usages de l’endroit. Avant même que les premières notes viennent le confirmer, on pressent d’office que la soirée sera agréable.
Les trois sets délivrés ne feront que démontrer l’universelle vérité de l’adage daneyien. Lors de la première demi-heure, une reprise du standard « J’ai du bon tabac » bien déconstruit et métissé d’un « Smoke Gets in Your Eyes » très à sa place dans cette tabatière, un hyper-tango hommage quasi attendu à l’instrument du leader. Un salut à Ravel aussi. Assez symptomatique d’une génération de musiciens qui semble très marquée par la musique du début du XXe et qui forme d’ailleurs le répertoire du projet parallèle de Macé, Le diable a froid. Ici Maurice est imaginé en Jamaïque pour un voyage sans skunk mais rudement secoué par les syncopes. La formation atypique - trombone, flûte traversière, batterie, contrebasse et bandonéon – prend parfois des intonations rurales, de fanfare ou de Jug Band. La proximité ne sera que plus évidente encore quand le flûtiste Yann Cléry, d’une voix puissante, se met soudain à réciter le premier vers fort désarçonnant d’une chanson hommage à Cléa Koff, cette jeune femme qui, pour l’ONU, fait parler les squelettes déterrés des charniers. Les thématiques quasi vaudou de ce « Les vivants dans les ossements des morts » font alors planer un fort parfum louisianais sous les voutes du Sunset.

Tristan Macé © H. Collon/Objectif Jazz

Malgré toutes les qualités du premier set – et les réponses positives du public – les musiciens prennent le parti courageux d’un changement d’ambiance. A une longue plainte qui joue admirablement des tensions de l’étirement, le très beau « Même la douceur de nos sorbets est une promesse de sensuelle immobilité » et son titre satiesque, succède un « Petit vélo » plutôt porté sur la descente en trombe. Le reste sera de cette veine : moins de claudications dansantes, de folklores désossés, davantage de jeu sur les durées et les ruptures de rythme. L’occasion pour le groupe de dévoiler l’opulente palette de ses timbres avec, dans cet exercice, un très brillant Sébastien Llado, qui semble épuiser les possibilités de son trombone. Un mitan de concert aussi plus habité par une mélancolie qui va se nicher jusque dans le deuxième morceau avec texte – signé Tristan Macé comme le premier –, le protestataire « Résister nuit ». On admire encore dans cet exercice la belle prestance de Yann Cléry, impressionnant déclameur.

A l’heure du troisième set les ruptures sont moins nettes. Tout juste remarque-t-on une tonalité plus bop de chambre, la présence de la flûte faisant parfois penser au Chico Hamilton Quintet. Mais le velouté ne peut trop longtemps s’installer, tout ponctué qu’il est par des dérèglements bien tempérés. Et même dans la douceur, ça ondule, ça serpentine. François Merville fait feuler ses fûts avant de propulser, secondé par la basse d’Hubert Dupont, un rythme de jungle music. Riche, touffue, accueillante mais pleine de surprises, cette fin de concert, à l’image de l’ensemble, a quelque chose de la soirée idéale.