Chronique

Ursus Minor

I Will Not Take “But” For An Answer

Tony Hymas (cla), Mike Scott (g), François Corneloup (ss, bs), Stokley Williams (dms, voc), Boots Riley (voc), Desdamona (voc)

Label / Distribution : Nato

Symbole de la collection Hope Street du label nato, caractérisé par une farouche volonté de ne jamais se laisser enfermer dans un carcan ni définir par aucune étiquette, le quartet Ursus Minor revient après quatre ans de silence poser la question, toujours vive pour ceux qui se la posent encore, des entrelacs entre jazz, hip-hop et funk.

Il est pour cela porté par les inamovibles Tony Hymas, claviers, et François Corneloup, saxophones baryton et soprano ; mais les premières notes de I Will Not Take “But” For An Answer suffisent à reléguer cette question très loin derrière la musique en elle-même. Ursus Minor, fort de ses nouvelles rencontres et de son envie de porter haut le verbe des rappeurs invités, propose un funk chaleureux et radical, agrémenté d’arrangements de claviers signés par un Hymas très inspiré, le tout enrobé dans un pochette-objet magnifiquement illustrée, le label de Jean Rochard étant là encore fidèle à ses bonnes habitudes.

Parmi les nouveaux venus dans cette formation à géométrie variable, on notera le guitariste Mike Scott, qui remplace avantageusement Jef Lee Johnson au sein du quartet. Ce compagnon de route de Prince (il participe notamment à l’album Musicology) façonne imperceptiblement le son, notamment sur « The Chosen Mask », un blues oppressant qui confronte la voix faussement doucereuse du batteur Stokley Williams à un solo « hendrixien » - à moins qu’il ne soit « princier » ? - soutenu par les phrasés ravageurs de Corneloup. Ce dernier prend un plaisir manifeste, en chauffant à blanc le bec de son baryton, à tenir une basse solide, intraitable et luxuriante, renforcée par une entente redoutablement efficace avec Williams (remarqué pour la dureté de sa frappe).

Mais Ursus Minor existe avant tout pour servir le verbe. Les rappeurs invités jouent un rôle crucial dans la cohérence de cet album ; Desdamona est une belle découverte au sein de de la jeune génération - voir « Hope », posé sur un souffle de Corneloup -, une voix qui n’a pas oublié l’héritage de la vieille école de la côte Est. Quant à Boots Riley, sa scansion incisive et qui va droit au but (« MMM ») rappelle que ce symbole de la gauche contestataire est une voix qui compte dans son Amérique natale.

Chaque morceau a son univers propre, comme si Ursus Minor avait voulu livrer un panorama complet des musiques urbaines, jusqu’à la ritournelle trop sucrée du dispensable « For Langton » [Hughes]. L’album est entièrement imprégné de l’extrême raffinement de Stevie Wonder au milieu des années 70, (Talking Book ou Songs In The Key Of Life) ; il apparaît d’ailleurs en filigrane dans le fondu-enchaîné entre le « Petite Fleur » de Bechet traité presque métal et son « Superstition » au riff de guitare démoniaque [1]. A l’écoute de I Will Not Take “But” For An Answer, on a parfois l’impression d’un funk complexe qui serait passé de 1975 à 2010 en s’épargnant l’ornière des années 80. C’est d’ailleurs la meilleure chose qui pouvait arriver à cette musique, qui y gagne en complexité sans pour autant perdre sa posture résolument groove !

par Franpi Barriaux // Publié le 8 novembre 2010

[1Créé par Jeff Beck, dont Hymas fut l’indéfectible compagnon durant des décennies et qui vint d’ailleurs le rejoindre il y quelques années sur une scène de Sons d’Hiver...