Scènes

Uzeste Musical (3)

Suite du journal des Manifestivités


Jeudi 22 Août

Où l’on se regarde entre deux chaussons aux pommes et une gorgée de café. Ecrire ou ne pas écrire ? Les fils sont tendus, les feuilles noircies s’agitent au bout d’une pince à linge et Michel Ducom, micro en main, zigzague dans ce poémier éphémère.
Vous ne l’aurez sans doute pas compris, il s’agit de l’apéro stylo. Comme les enfants sont un peu turbulents et qu’il y a un côté ludique à cette affaire, on opte pour un cadavre exquis.

Aujourd’hui, j’ai décidé de suivre Lubat…Lubat, Lubat, attention à la fixation.
Avec Gyorgy Kurtag et devant son synthétiseur, il entreprend un dialogue avec … lui-même.
The Continuator Project est une machine qu’il faut instruire. A chaque séquence de notes jouées, elle répond en conservant le style de la proposition. Lubat est étonné : « on dirait vraiment que c’est moi qui joue ».
Alors vous imaginez aisément les possibilités de jeu qui peuvent être engendrés par un tel processus, et le trouble de l’auditeur qui ne sait plus qui fait quoi. Une musique électronique humaine presque cosmique, où le rapprochement entre constellations, scintillement d’étoiles et notes paraît évident.
Après cette douce rêverie, on quitte l’Estaminet pour flâner dans les librairies du village, histoire de souffler et de se faire une brève cure de désintoxication de spectacles.

A la Menuiserie, pas de solos pour Corneloup, mais une heure de conversation avec Lubat. Celui ci range ses blagues, se tait, joue.
Et dès le début, du swing, de la transpiration, direct aux tripes et au cœur. Entre les débordements et l’implication mutuelle, les deux compagnons ont fait passer un message fort de la différence uzestoise. En tout cas un fabuleux moment qui restera longtemps, je pense, dans la mémoire de ceux qui y ont assisté.

C’est donc autour d’un verre de Sauternes journalier qu’on se retrouve avec quelques camarades journalistes, et à vrai dire on laisse un peu filer l’agitation de la Campagnie des Musiques à Ouïr.
Après quelques victuailles africaines, on va doucement assister aux concerts de la soirée. Et s’ils commencent maintenant avec une bonne heure de retard, c’est sûrement que l’organisation n’est pas une chose aisée comme s’en expliquera Lubat le lendemain.

Le duo Marc Perrone/Patrick Scheyder donne à entendre les habituels morceaux de l’accordéoniste et d’étonnantes improvisations libres. Entre les fredonnements des spectateurs et les notes doucement égrenées, le temps semble se suspendre.
Interruption subjective : mon voisin a trouvé que le toucher du pianiste s’accordait mal avec le jeu de Perrone.

Quant à la Compagnie Lubat elle a donné avec sa Comedia del Utopia, un concert exemplaire de ce que peux être une montée de charges émotionnelles.
Commençant dans l’étrangeté, librement ponctuée par des lectures de textes plus ou moins érotiques, la musique est devenue petit à petit rythmique (magnifiques chorus du maître d’œuvre au mélodica et à l’accordéon, vifs échanges avec Minvielle), pour se terminer en apothéose et en feux d’artifices par « Indifférences ».
Tout le monde se lève pour la danse et en redemande. Non, plus rien. Frustration ! On ne veut pas donner que du plaisir à Uzeste.

Cela dit, bourré d’adrénaline que nous sommes, nous avons bien du mal à trouver le sommeil.

Vendredi 23 Août

Il faudrait que je remercie ici la boulangère d’Uzeste d’avoir rendu agréable chaque nouvelle journée par ses délicieuses pâtisseries et boissons, ainsi que sa gentillesse. Respirer le bon air en grignotant, voilà qui est quand même plus sain que l’atmosphère enfumée du Café des Sports.

Quoiqu’il en soit, les Musiques sans Papiers (c’est à dire entièrement improvisées) ont commencé moins en retard qu’on le prévoyait ! On arrive en pleine bataille sonore (Corneloup/Sciotto/Rouanet), stridences et chaos dont ne semble pas satisfait Corneloup.
On subit ensuite un choc trash ; Minvielle et Charolles sortant de derrière les arbres pour une destruction autant musicale que scénique ; notre cher André terminant par une brasse sur sa table !
La suite continue dans la même veine, moins décapante tout de même. Il faut souligner la performance du pianiste Stéphane Cazillac, qui a suspendu de fort belle manière et pendant quelques minutes les effluves libertaires, pour poser ensuite en douceur Monniot et Sheidt. Tout le monde reviendra pour un final funky.

Des chansons, quelques standards passés dans le corps du saxophone avec une certaine majesté. Et Minvielle qui accompagne et joue le contraste avec un sac plastique et son clairon de poche.
Corneloup est longuement salué par les applaudissements, ce n’est pourtant pas le clap final de ses solos et duos. La Menuiserie ferme maintenant ses portes.

En plein air, Arnaud Rouanet et Yoann Sheidt rendent hommage à une certaine orientation politique en déboulant drapeau rouge au dos, sax et baguettes (interchangeables) au poing.
Après avoir fièrement brandi l’Internationale, ils ont tous les arguments pour se faire payer des verres au comptoir de la CGT. Ce qu’ils ne vont pas se priver de faire !

Après cette journée chargée de fières revendications, il faut bien constater que la fatigue nous rend de plus en plus exigeants.
Le soir, Vanina chante Prévert avec deux anciens compagnons d’Higelin, mais l’ensemble est trop académique.
C’est la quatrième fois que l’on voit la Campagnie des Musiques à Ouïr. Les ficelles sont plus apparentes, et le chanteur toulousain Eric Lareine pas intégré au projet comme on l’aurait voulu.
Pourtant il y aura des passages magnifiques - un notamment où les trois compères statufiés chanteront a cappella sous des lumières bleutées.

Voici pour finir les Femmouze T. Deux femmes, du tempérament et une sacrée dose d’énergie à revendre. Un accordéon, un tambourin, une voix et c’est tout le monde qui envoie ses soucis en l’air pour danser sur des musiques du sud et de l’Amérique Latine.

Sous la tente, on entend le Graphioso Band qui joue Zappa. King Kong pour le sommeil, on peut rêver pire.

Le coin de la-matrice (authentique découvreuse uzestoise vierge de tout jazz) :
Quoi ? Douze personnes dans la queue pour les douches !
Arggh ! Tant pis, je m’arme de ma serviette et m’asseois sous le pommier près d’un buveur de Sauternes. C’est l’heure de l’apéro. Depuis la voiture des campeurs, Radio Uz déverse musique et interviews arrosées et nous berce gentiment.
Le soleil vient me lécher les pieds… Ah ! C’est mon tour, vite, vite, on en oublierait presque les concerts… Heureusement qu’il y en a à toute heure !
A la salle des fêtes, les habitants du coin n’ont pas hésité à se déplacer pour venir écouter Michel Macias.
Il est vrai que le doux accordéoniste-batteur-pianiste n’a que peu de vices : les frites de sa mère et la musique.
Que faire cette nuit ? Tiens, je vais retourner voir les Martine a la plage. Entre malice, poésie enfantine et accessoires insolites ( boites à meuh, carnets d’enfants..), nos trois muses sont bien de la trempe des galopins des Musiques à Ouir !