Scènes

Uzeste Musical (4)

fin du Journal des Manifestivités


Samedi 24 Août

Il devient nécessaire de s’extraire du festival.
La ville de Bazas est notre terre d’accueil, cité qui s’émancipa au IVème siècle et qui fut un évêché jusqu’à la fin du XVIIIème. D’où une célèbre cathédrale que l’on a visitée. Mais Bazas est aussi célèbre pour son bœuf et son marché, d’où les quelques produits que l’on s’achète pour l’apéritif du soir.

Retour au Parc Lacape, où l’on ne voit malheureusement que la fin du concert des Spice Bones. Mais le vif succès qui accompagne le dernier morceau laisse deviner que cela s’est très bien déroulé pour eux. Tant mieux.
Néanmoins, cette série de concerts est nettement plus faible que celle de la veille, car sans thématique clairement visible. Par exemple, on ne comprend pas trop la présence du Abradacaband … sans commentaires (ce qui est une manière peu élégante d’en faire un).
Lubat revient deux fois, d’abord pour un exercice libre sur le fil avec Arnaud Rouanet, puis pour des standards joués simplement avec Yves Carbonne (Autumn Leaves).

Le clou sera splendide, Corneloup et Sclavis, deux enfants de la balle (rappelons que Sclavis a fait partie de la Compagnie Lubat au début des années 80) rivalisent d’audace, de groove, de chants et de cris. Et si l’échange des rôles est significatif dans un duo, la rapidité du flux et des propositions laisse admiratif et fait longuement applaudir les spectateurs.
Corneloup range ses instruments, tirons-lui notre chapeau pour avoir illuminé cette semaine uzestoise.

On profite du temps maintenant. On se dit qu’on est bien dans cette campagne, à se soûler d’émotions musicales, de danses, à courir aux spectacles pour ne pas en perdre une miette.
On grignote justement des pâtés de Bazas et quelques tomates séchées. On se ressert quelques verres de Sauternes qu’un chien nous envie. Le temps s’écoule doucement, on aimerait le retenir un peu plus. On appréhende le retour à Paris.
Alors comme la nuit s’est doucement installée, on se dirige déjà un peu nostalgique vers le parc. Le public de la région s’est déplacé en masse. C’est que ce soir, c’est feu d’artifice et bal !

Le Deliberation Orchestra s’est déjà produit à Sons d’Hiver et au Festival du Mans. Se présentant comme un « Compagnie Lubat invite », il est plutôt le grand rassemblement utopique des musiciens de la galaxie uzestoise pour une improvisation collective.
Là c’est trop court (planning serré oblige) pour que le discours se déploie entièrement, mais on admire l’énergie déployée par Lubat pour diriger l’ensemble et malaxer la pâte musicale.

Chut, Chut. Auzier pour son 25ème feu d’Artifice Uzestois. On se place en face du lac qui fait bordure au Parc, et on attend.

Puis on reçoit en pleine poire le spectacle.
Audacieux, violent : des pétards sont aveuglants et extrêmement assourdissants, risqués, des grandes flammes jaillissent et leur chaleur vient « gentiment » nous lécher la figure, des flammes rouges courent le long du lac ou descendent des arbres. C’est un choc dont on ressort complètement étourdi.

Mais il faut déjà danser, Lubat nous exhorte « Dansez, Dansez, remuez-vous, existez quoi ! ». C’est la Nuit Pecno Beat remix ! On transpire donc fièrement au son des « tubes » de la Compagnie, de Perrone et on s’amuse de voir Portal esquisser quelques pas de danse. Dommage que ça n’ait pas duré jusqu’à l’aube comme prévu.

Dimanche 25 Août

Il pleut. C’est un peu triste Uzeste sous la pluie. La foule est moins nombreuse. L’Estaminet est un refuge tout trouvé pour déguster un très bon confit de canard.
Je feuillette la revue de presse de 1994. Qu’est-ce qui a changé ? Cette année, nous avons été gâtés par le nombre de spectacles et la diversité proposée.
Mais une chose se vérifie : ce sont toujours les mêmes qui viennent à Uzeste, et on précisera à toutes fins utiles les mêmes qui sont invités. Et en débroussaillant l’habile langage de Lubat, il faut se rendre compte que la création n’est pas aussi présente qu’on voudrait nous le faire croire.
Uzeste, petite fenêtre ouverte sur le monde est aussi un clan relativement fermé sur lui-même. Ce n’est pas la seule contradiction de ce lieu (on pourrait aussi parler de l’improvisation), ça n’ôte rien de sa magie, mais on espère que ces 25 bougies seront l’occasion de voir à l’avenir de nouvelles têtes dans les Landes.

Bien, ces choses étant dites, il faut se rendre compte d’un fait, c’est qu’il pleut toujours. Les concerts de l’après midi sont donc redirigés vers la Salle des Fêtes.
Pour illustrer la présence du classique, Malika, mezzo-soprano d’origine algérienne.
Elle est chaleureuse, souple et se met volontairement en scène (déclaration d’amour dans le blanc des yeux avec un portrait de Léonardo Di Caprio). On regrette qu’un ténor sans voix et des musiciens trop timorés l’aient accompagnée. Nous sommes à Uzeste que diable !

Le chaudron d’André Minvielle sera l’occasion de vérifier le potentiel vocal du public, mais de façon rapide puisque des musiciens (Vieira, Charolles etc.) viennent s’asseoir autour de la table de Minvielle pour entonner « Los Gojates » (C’est quoi, c’est qui…).

En ressortant, on apprend que les fameux soli-sauvages sont annulés. Ils devaient avoir lieu dans le Parc (certaines années ils prennent la forme d’une balade à travers la campagne), et comme le précise le texte : « ils existent parce qu’ils disparaissent, artistes insolites, multipistes sous les étoiles pour une nuit sans lune ».
Deux musiciens débarquent quand même devant nous et exécutent un rap comique nous conduisant tout droit à l’Estaminet. Comme un film sur Minvielle y est projeté, on s’asseoit.
Ce qu’il y a de bien dans les attentes, c’est qu’il y a toujours des gens pour égayer l’atmosphère. On retrouve devant la Salle des Fêtes, notre chanteur du premier jour qui avec gouaille chante une partie du répertoire paillard de la chanson.

Jouant la carte du « tendu/explosif », Michel Portal, André Minvielle et Bernard Lubat se connaissent bien. A la limite du contemporain, free dans l’approche, ils sauront se retrouver sur les rythmes de la danse et de la fête.
Portal est visiblement très content que cela fonctionne, lui qui dit qu’il n’est jamais aussi libre qu’ici (ce qui serait à vérifier).
Lubat ému, qui voudrait ne pas passer pour un vieux con, rappelle quelques souvenirs avec Portal. 78, la Collégiale, le concert en compagnie d’Auzier, notre bayonnais qui voulait trouver de nouveaux sons ce qui laissait Lubat dubitatif (avant de faire tomber un objet provocant une réaction enthousiaste dudit Portal !).
« Ca fait 25 ans qu’on fait les cons ensemble et on n’a pas envie de s’arrêter » conclue-t-il avant de laisser la place à la musique Noire Américaine.

Une chose se confirme de festival en festival sous nos yeux, Archie Shepp a retrouvé tous ses moyens et le plaisir de jouer. Son blues, la voix étonnante de Mina Agossi donne donc une conclusion réussie à ces 25émes Hestajadas de las Arts.

Comme je n’ai pas l’intention de faire dans la conclusion grandiloquente, je soulignerais simplement l’évidente « déprime » qui suis le retour d’une telle semaine.
Paris, ses métros, son train-train, le silence des murs. Autant de choses qui rendraient presque nécessaire un sas de décompression pour rendre cela moins brutal.

En espérant vous y voir l’année prochaine…