Chronique

Vienna Art Orchestra

A Notion in Perpetual Motion

M. Rüegg (dir, arr), L. Newton (voc), H. Kottek (tp,flh), H. Joos (tp, flh, alphorn), W. Pushnig (as, ss, fl), H. Sokal (ss, ts, fl), R. Schwaller (ts), C. Radovan (tb), J. Sass (tu), W. Schabata (mar, vib), U. Scherer (cla), H. Kaenzig (b), J. Dudli (dms, perc), W. Reisinger (dms, perc), E. Dorfinger (sound)

Label / Distribution : Hat Hut

A l’heure où Matthias Rüegg, chef du Vienna Art Orchestra annonce laconiquement la dissolution de la formation faute de financements corrects pour ce genre de grosse machine, très coûteuse en tournée, mais aussi de demandes, notamment de la part de la France, le label suisse Hat Hut ressort de son prestigieux catalogue A Notion in Perpetual Motion, enregistré live en 1985 par le VAO.

Figure marquante des années 80, entré dans la légende tant par la complexité de ses arrangements que par la longévité de son grand ensemble, Rüegg est alors au faîte de sa gloire. Le Vienna Art s’arrache partout, en Europe comme aux États-Unis - où Rüegg est élu « Meilleur arrangeur » par le prestigieux magazine Downbeat.

A Notion in Perpetual Motion est plus qu’un témoignage de l’époque, plus qu’une preuve de la finesse dont sont capables les quinze musiciens, admirablement dirigés par un Rüegg joueur. C’est avant tout le carnet de route d’un orchestre dont le rythme effréné des tribulations se retrouve sur le beau « Lady Delay », composition de Rüegg où sont mis en valeur la voix « cascadeuse » de Lauren Newton et le piano d’Uli Sherer en solo soyeux. Car le mouvement perpétuel n’évoque pas seulement les 77 représentations données dans 17 pays différents en 85. Il est aussi cet aller et retour constant entre les grammaires musicales qui ajourent l’écriture de Rüegg, assez doué pour s’approprier Mozart comme Ellington, Satie comme Mingus, toujours avec la même verve et la même érudition.

Parmi les pointures du jazz européen présents depuis les origines du VAO, on trouve par exemple Wolfgang Reisinger à la batterie ou Harry Sokal aux saxophones ; des musiciens durablement marqués par cette expérience au sein d’un big band qui revisitait le patrimoine des musiques orchestrales américaine et européenne sans les recuire dans l’orthodoxie mais au contraire en cherchant de nouveaux chemins, voire en ouvrant de nouvelles brèches (cf. l’étonnant « HM Blues » de Bhumibol Adulyadej [1]).

L’intérêt du disque est par ailleurs de montrer le travail du VAO en dehors de ses exercices de style autour de tel ou tel compositeur, à savoir quand il se laisse le champ libre. C’est ainsi qu’on découvre un « Round Midnight » concertant où le piano s’appuie sur le cornet « viennois » d’Herbert Joos, un bop fiévreux attaqué au cor des Alpes (« French Alphorn ») [2] par le même Joos, soutenu par le trombone de Christian Radovan. Ces morceaux sont symboliques d’une volonté de ne jamais se laisser enfermer dans de rigides fauteuils d’orchestre. Pourtant, on a souvent appliqué au VAO le statut quasi institutionnel de « Troisième école viennoise » à lui seul, en y voyant un « néo-ellingtonisme » un peu compassé pour conservateurs nostalgiques. Sa singularité aura consisté à éviter durant 35 ans les chausse-trapes des étiquettes… A l’écoute de ce disque, on souhaite simplement que cet arrêt ne soit qu’une pause, pour cause de frilosité des financeurs institutionnels.