Chronique

Vigh / Guérineau / Ascal

Suites pour une vielle pas seule

András Vigh (vielle), Sylvain Guérineau (ts), Gaël Ascal (b)

Label / Distribution : EPM

András Vigh est un musicien et comédien né à Budapest qui parcourt l’Europe depuis des décennies accompagné de sa vielle à roue, instrument ancien et populaire qui a lui-même bourlingué sur le continent depuis des centaines d’années. On l’a entendu avec Akosh S., avec Bertrand Renaudin, toujours dans une approche très libre d’un instrument perçu comme un conteur d’histoires en devenir. Dans cet album, qui regroupe trois extraits de concerts, on le retrouve avec une figure historique des scènes improvisées, le saxophoniste Sylvain Guérineau et le contrebassiste Gaël Ascal, lui aussi comédien qu’on se souvient avoir entendu avec John Cuny ou Yann Joussein.

Voilà donc une rencontre très théâtrale ; contrebasse et vielle jouent des cordes, se fondent dans le souffle puissant du ténor, dans des couleurs très chaudes qui excluent toute volonté de rupture. Dans la seconde partie de « La Romorantinaise », intitulée ainsi car enregistrée à Romorantin-Lantenay en 2015, Guérineau ouvre la voix à une claudication de cordes pincées avant d’être rattrapé par une vielle puissante, toujours à la limite de l’hégémonie sonore, mais se laissant altérer par ses camarades. Voici des Suites pour une vielle pas seule. Il serait donc étonnant que le trio n’avance pas de front. Il y a même parfois unisson, à l’instar de quelques instants de la quatrième partie de « La Cosnoise », puissante ballade sans boussole sur des terres à défricher.

La musique proposée par le trio est passionnée, fiévreuse. L’utilisation des instruments est étendu, loin a priori de la musique traditionnelle d’où provient la vielle. Mais l’objet, si vénérable soit-il, est avant tout un générateur de son, et c’est ainsi que Vigh l’utilise même si dans « La Limougeaude » il chante mezza-voce quelques paroles en hongrois. On songe, notamment lorsque les instruments s’échauffent, à l’approche de la cornemuse d’un Erwan Keravec. Il y a quelques points communs, notamment dans l’aspect nomade cher aux deux artistes. La vielle est partout chez elle, mais sa patrie semble tout de même se trouver dans les bras de tels créateurs.