Chronique

Vincent Peirani

Thrill Box

Vincent Peirani (acc, voc), Michel Benita (b), Michael Wollny (p, fender), Michel Portal (b-cl, bandonéon), Emile Parisien (ss)

Label / Distribution : ACT

On l’attendait depuis un an au moins, ce disque ! Depuis un splendide solo absolu qui nous laissa sans voix (Europa Jazz Festival du Mans 2012, collégiale Saint-Pierre-La-Cour), mais pas sans la grande émotion qui fait les grandes rivières. Depuis, ça coule et ça roule entre le grand accordéoniste et le saxophoniste Emile Parisien (ici en invité), tant en duo qu’au sein du quartet de Daniel Humair (tout sourire de les avoir dénichés, ces deux-là !). Mais c’est aussi la rencontre avec Michel Portal (également convié à confronter son bandonéon à l’accordéon), et puis le soutien si sensible de la voix de Youn Sun Nah, et je m’arrête là puisque tout le monde veut l’avoir, ce diable d’homme, même les musiciens « classiques » ! Donc, côté réputation, c’est fait, ne manquez pas d’aller écouter Vincent Peirani, quel que soit le contexte.

Voyons maintenant un peu le répertoire de cette « boîte à frissons », si bien nommée. Et d’abord ce « Bailero » dû aux talents de récolteur et d’arrangeur de Joseph Canteloube (1879 – 1957) ; une très belle et très émouvante chanson de berger originaire d’Auvergne, un vrai « tube » depuis quelques années, depuis que les très grandes chanteuses lyriques ont mis les « Chants d’Auvergne » à leur répertoire - et je citerai de manière aléatoire Frederica Von Stade, Victoria de Los Angeles, Kiri Te Kanawa, Maria Bayo, mais aussi les méconnues et splendides Véronique Gens et Netania Davrath, sans oublier Anna Moffo du temps de sa splendeur vocale. Et j’en passe. Cherchez par vous-mêmes ! Cette mélodie le mérite, même si elle sert aussi parfois dans les séances de relaxation… En tous cas, côté « musiques actuelles », Vincent Peirani prend rang. Allons, berger, ne te désole pas, la rivière qui te sépare de ta belle est infranchissable, mais le chant que cela t’inspire est de toute beauté.

La Valse For Jb qui suit, et qui fait entendre d’entrée la contrebasse de Michel Benita, grand responsable avec le « leader » de la qualité d’ensemble de ce disque, est due à la plume experte en mélodies chantantes de Brad Mehldau. On y entend donc le pianiste Michael Wollny, excellent lui aussi, romantique et brillant à souhait, un moment évidemment ternaire, souple ; on ne chavire pas mais peu s’en faut. Hypnotic nous entraîne ensuite dans un univers tournoyant destiné à évoquer et produire un effet de fascination. Good Night Irene est le premier morceau dédié au folklore américain, l’autre étant Shenandoah, magnifique chanson du XIXe siècle dont les origines sont assez confuses et le texte d’interprétation plurivoque. Quoi qu’il en soit, il faut connaître de cette emblématique complainte les versions « historiques » de Jo Stafford (la plus émouvante, sa voix est splendide, mais qui s’intéresse à cette immense chanteuse chez nous ?), mais aussi de Bill Frisell (pleine de guitares), Bob Dylan (grincheux), Bruce Springsteen (à qui conviennent bien ces valses tristes), Charlie Haden (parfait, en plus il est né à Shenandoah !), Leontyne Price (insupportable plus de dix secondes, car ce répertoire ne convient pas aux voix d’opéra), Tom Waits avec Keith Richards (qui rivalisent de raucité et retrouvent le côté « sea song » de la chanson). Et donc aujourd’hui, Youn Sun Nah et Vincent Peirani…

Entre temps on aura apprécié les ambiances délicates de « B&H » (avec Portal) et d’« Air Song » (avec Parisien), la valse musette dédiée à Michel Portal (c’est là qu’ils confrontent leurs boîtes à frissons), et deux pièces parfaitement emballées, venues du jazz : « I Mean You » de Monk en duo avec Wollny, et l’une des dernières compositions d’Abbey Lincoln, « Throw It Away ». Nous sommes ainsi conduits vers la pièce conclusive, sans doute la plus secrètement riche de tout le disque, Choral. Une improvisation conduite à la façon d’un organiste, frissons inclus (le « tremblant » de l’orgue), exactement ce qui nous avait tant impressionné dans le solo de l’an dernier, pendant le final de l’Europa Jazz Festival. Des disques de cette densité, construits, réfléchis, avec cet art consommé de la diversité mais aussi des fils secrets qui relient les divers morceaux, on en redemande.