Scènes

Voicingers à Paris, les paris du festival

Une véritable tour de Babel avec de jeunes chanteur·euses.


© Jot CIL

Voicingers, festival vocal international itinérant, faisait halte à Paris pour une semaine de concerts dans différents lieux de la capitale. Deux soirées ont permis de rendre compte de l’intérêt d’une programmation variée et originale.

Le Festival Voicingers est une structure de diffusion créée et animée par un collectif réunissant des musicien·nes de différents pays. Voicingers a pour objet d’organiser des concerts et des actions pédagogiques autour de la voix. Leur aire de rayonnement concerne l’Europe et l’Asie. La partie française de ces actions est gérée par Manu Domergue, qui organise depuis plusieurs années un festival Voicingers à Paris. L’édition 2024 s’est tenue du 21 au 26 octobre, avec cinq concerts dans différents lieux (Centre tchèque, fondation danoise, etc.). Des partenariats pédagogiques ont également été mis en place avec lieux d’enseignement, notamment le Centre de Musiques Didier Lockwood, dont certain·es élèves étaient présent·es pour animer les jam sessions après les concerts.

Marion Ruault et Nathalia Kordiak © Jot CIL

La soirée d’ouverture au Centre culturel tchèque a donné le ton du festival en mettant en avant la volonté de programmer des groupes inédits issus de rencontres entre artistes de différentes origines géographiques et univers esthétiques. Ce sont donc six duos formés pour l’occasion qui se sont produits dans un contexte laissant une grande place à l’improvisation. Parmi ceux-ci, on retiendra plus particulièrement le premier et le dernier pour l’intensité de leur performance. Natalia Kordiak (chant) et Marion Ruault (contrebasse) ont ouvert la soirée avec une improvisation modale toute en interaction autour d’un texte de Halina Poświatowska, poétesse et écrivaine d’origine polonaise. Bastien Picot (chant) et Mateusz Szewczyk (basse électrique) ont clos cette programmation avec un très bel échange sur une chanson de Davy Sicard. Il faut évidemment ajouter le duo formé par le maître de cérémonie, Manu Domergue (chant et mellophone) et l’hôte de la soirée Jiří Hnilica (voix), directeur du Centre tchèque, sur un très beau texte de Joseph Škvorecký, écrivain tchèque. Comme on peut le noter, ce sont autant les langues de tous pays que les voix qui sont à l’honneur dans le projet Voicingers.

Mateusz Szewczyk et Bastien Picot © Jot CIL

Concert Jesper LØRUP meets Francesca PALAMIDESSI

Ce concert s’est déroulé le jeudi 24 octobre à la Fondation Danoise, située dans la Cité universitaire internationale de Paris. C’est la première collaboration entre ce lieu et le festival Voicingers. L’endroit, très agréable, bénéficie d’une bonne acoustique et organise régulièrement des manifestations culturelles, dont certaines sont consacrées au jazz (concerts, master classes). Fidèle au propos du festival, ce concert réunit une formation inédite composée de la chanteuse italienne Francesca Palamidessi, de la pianiste française Sandrine Marchetti, de la contrebassiste tchèque Klára Pudláková et du batteur danois Jesper Lørup. Le fait que ce dernier soit co-leader du concert donne tout son sens à la programmation à la fondation danoise. Le répertoire de la soirée est entièrement composé par Francesca Palamidessi qui a gagné le concours Voicingers de l’édition 2015. Elle représente donc le type d’artistes que Voicingers souhaite soutenir en termes de qualités vocales et d’ouverture musicale. La majorité des thèmes est issue de son troisième disque, intitulé Madreperla, sorti il y a tout juste un an. Il s’agit d’un concept album sur la thématique de l’huître et de la perle. Son empreinte sur la musique présentée par le quartet est donc forte, ce qui constitue un atout et une limite pour le concert de cette soirée.

Francesca Palamidessi, Klara Pudlakova et Jesper Lørup © Jot CIL

Les deux premiers thèmes font la part belle aux séquences électroniques et aux ambiances vocales avec de nombreux effets. La section rythmique évolue dans des modes de jeu non pulsés, avec une contrebasse à l’archet dans le registre aigu, soumise, elle, à un traitement sonore important. Le trio se montre très à l’aise dans les séquences d’improvisation collective. Il est à noter que Francesca Palamidessi se produit habituellement en solo sur ces titres. Se pose alors la question de l’intégration du trio dans cet univers déjà très riche et se suffisant à lui-même. Le troisième morceau, composé pour ce concert, se dégage de ces problématiques en offrant plus d’espace de jeu pour le trio. Les harmonies de ce thème permettent à Sandrine Marchetti de se mettre plus en valeur. Il faut cependant attendre le thème suivant, « The Oath », morceau plus ancien, pour entendre le premier solo de piano, marqué par une interaction forte avec la batterie. Sandrine Marchetti a ici l’occasion de développer ses qualités mélodiques et rythmiques. Le thème suivant, « Mermaid’s Lament », issu du disque Amber Haze (2016), est le plus intéressant du concert, avec l’intégration mélodique de la contrebasse de Klára Pudláková sur l’exposé du thème. On peut néanmoins noter la tendance de Francesca Palamidessi à abréger les séquences d’improvisation du trio. Cela est très certainement dû à son souhait de conserver le format chanson de ses compositions, mais il est dommage que la section rythmique ne puisse pas exploiter toutes les potentialités qui apparaissent dans ces moments d’improvisation. Il faut attendre l’avant-dernier thème, « No Time », qui figure également sur le disque, Amber Haze, pour entendre le premier dialogue improvisé entre la batterie et la vocaliste, tous deux coleaders du concert de la soirée.

On a pu apprécier la cohérence stylistique du concert, grâce au nombre important de thèmes issus du dernier disque de la chanteuse. Néanmoins, le mélange entre les sons électroniques et le trio acoustique s’est souvent révélé déséquilibré, avec une place prépondérante accordée aux effets et aux séquences produits par la vocaliste. C’est toute la difficulté de ce genre d’exercice. On aurait aimé qu’il s’agisse davantage d’une rencontre entre les univers de ces quatre musicien·nes de talent, dans le cadre d’un répertoire faisant une place aux compositions de un·es et des autres, ou dans un contexte improvisé avec une prise de risque plus importante. Il faut toutefois souligner la qualité des musicien·nes entendu·es et l’intérêt des choix artistiques effectués par Manu Domergue pour la programmation de cette édition 2024 de Voicingers.