Chronique

Smith & Myers

Central Park’s Mosaics Of Reservoir, Lake, Paths & Gardens

Wadada Leo Smith (tp), Amina Claudine Myers (p).

Label / Distribution : Red Hook

Aussi étrange que cela puisse paraître, ces deux-là n’avaient jamais travaillé ensemble en duo. C’est incongru car à eux deux, ils symbolisent Chicago et l’AACM, la revendication de la Great Black Music et une rigueur absolue. Amina Claudine Myers (ACM) et Wadada Leo Smith (WLS), 82 ans tous les deux, nés à quelques mois d’écart, se retrouvent ensemble pour ce Central Park’s Mosaics Of Reservoir, Lake, Paths & Gardens dans la plus pure tradition des évocations géographiques de WLS. « Conservatory Gardens » est l’ouverture de ce voyage à New York, contrée d’élection d’ACM depuis le milieu des années 70 : la main gauche sur le piano est légère, la trompette évanescente ; la musique suit la même trajectoire que le duo, prend le temps, joue la carte contemplative sans jamais sombrer dans le sommeil. Il y a une amitié, une douceur, une quiétude qui souffle en ces jardins.

On entend un parti pris debussyen dans le jeu de Myers, mais c’est un détachement qui n’appartient qu’à elle. Central Park, on imagine qu’elle l’arpente sans se presser, revenue de toutes les colères. L’ancienne membre des orchestres de Lester Bowie ou du Liberation Music Orchestra (Dream Keeper) entre avec Smith dans une cartographie de la douceur et de la langueur, qui trouve sa plus belle expression dans « Central Park At Sunset », où l’astre de la trompette chauffe l’âme. L’imagination fait le reste, dans un jeu de piano souterrain, planté dans le sol comme un arbre immuable. Ce disque paru sur le nouveau et très prometteur label Red Hook est la célébration d’une Amérique apaisée et fraternelle, à l’inverse des simagrées qui ne sont même plus l’écume du temps ; la respiration que propose les deux musiciens balaie la laideur, convoque les fantômes. « Albert Ayler, a Mediation In Light » est l’occasion pour ACM de durcir son jeu, de rappeler sa main gauche puissante et sa droite intrépide, mais c’est pour mieux célébrer l’âme légère d’un feu follet du temps jadis : WLS quant à lui sonde de sa trompette toutes les dimensions de l’émotion.

Il y a une telle admiration mutuelle dans cette rencontre qu’elle éclate à chaque instant. Ce n’est pas nouveau : WLS avait dédicacé à sa camarade un morceau de The Chicago Symphonies et tout l’album est scellé par l’amitié et la fraternité de deux monuments de nos musiques qui livrent l’un des plus beaux disques de l’année : « The Harlem Meer » et ce solo d’ouverture de WLS, à peine troublé par un piano puissamment ancré dans le sol, en éclaire le chemin. Une boussole.

par Franpi Barriaux // Publié le 8 septembre 2024
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