Chronique

Westbrook & Company : The Uncommon Orchestra

A Bigger Show

Label / Distribution : Autoproduction

Internet. On y trouve de tout : des chatons mignons et des psychopathes embrigadés. Des humanistes en liberté et des réacs qui s’étouffent dans leurs fluides corporels. Pour tout dire, on y déniche même des revues de qualité qui ont quinze ans et des musiciens anglais ironiques qui en ont quatre-vingts. Le World Wide Web, voilà le sujet sous-jacent de A Bigger Show, le double album de l’Uncommon Orchestra, le nouvel ensemble de Mike et Kate Westbrook. Un sujet forcément large et nécessairement immodéré. Qui d’ailleurs se soucie encore des modérateurs ? Alors Kate Westbrook, de sa voix inimitable, lance le concert comme les bateleurs des temps anciens, annonçant moult tripailles sanguinolentes ouvertes aux voyeurs et autres horreurs à même de faire du clic (« Gizzards All Gory »). Le tout sur un solo luxueux et impétueux d’Alan Wakeman au saxophone ténor, l’un des seul fidèles du couple présent dans cette formation de 21 pupitres dont la composition oscille entre le brass band (quatre trombones, cinq saxophones…) et la puissance du rock (deux guitares, autant de batteries et de basses).

Mais les Westbrook sont de trop fins observateurs pour tomber dans la chausse-trape de la dénonciation d’un outil sur le mode du « c’était mieux avant » ; ils ont l’intelligence de chatouiller le contenu avec beaucoup d’humour sans blâmer les tuyaux. Ce serait pour le moins un comble pour des artistes très présents sur les réseaux. Dans « Scattered And Cold », sur un riff acide de guitare, entre un solo de batterie rageur de Coach York et différentes envolées à la force de frappe remarquable, Kate Westbrook s’amuse de certains mots devenus totémiques, des hashtags de Twitter aux blogs, tout ceci disséminé dans le bastringue ambiant que l’orchestre tente de mettre en perspective avec une science des arrangements qui ne se dément jamais. Un algorithme indéniablement plus harmonieux que n’importe quelle requête sur un moteur de recherche. Sur le roboratif « Propositions », qui dure plus de trente minutes et met en valeur des musiciens peu connus, Mike Westbrook construit une lente progression. Tout commence d’abord dans l’ombre du sax baryton de Ian Wellens, avant de s’éclairer peu à peu à mesure que les musiciens le rejoignent dans une brillance ellingtonienne.

Assez en retrait à l’instrument, le compositeur s’offre parfois quelques chorus, souvent fort mélancoliques. Il laisse sa compagne sur le devant de la scène deviser avec deux autres chanteurs de la Société du Spectacle (« Juxtapositions »). (Martine Waltier et Billy Bottle, clin d’œil ultime, sont des candidats de The Voice UK 2015). Avec A Bigger Show, Mike Westbrook renoue avec la forme théâtrale de ses débuts. Il y a une intention initiale, évidemment, qui évoque la multitude voire le trop-plein et s’illustre dans ces morceaux longs et foisonnants. Mais les tableaux qui se succèdent apportent ce surplus d’humanité à cette gigantesque marmite bouillonnante et tout à fait excitante. On ne s’ennuie pas une seconde dans ce show démesuré aux allures de grand cirque moderne. Avec de tels musiciens, abondance de bien ne nuit pas.

par Franpi Barriaux // Publié le 20 novembre 2016
P.-S. :

Mike Westbrook (comp, dir, cla), Kate Westbrook, Martine Waltier (voc), Billy Bottle (voc, b), Sarah Dean (as, cl), Roz Harding (as), Alan Wakeman (ts, ss), Gary Bayley (ts), Ian Wellens (bs), Mike Brewer, Sam Massey (tp, flh), Dave Holdworth (sousa, tp), Stewart Stunell, Andy Dore, Joe Carnell (tb), Ken Cassidy (btb), Jesse Molins, Matthew North (g), Marcus Vergette (b), Coach York, Theo Goss (dms)