Chronique

Yann Joussein

Phoque Eventré

Yann Joussein (dms, elec, fx, voc, fl)

Label / Distribution : Coax Records

Ceci n’est pas – vraiment - un solo de batterie. C’est sans doute, bien plus, un solo de batteur. Membre du Collectif Coax à l’instar de Benjamin Dousteyssier avec qui il joue dans le groupe DDJ, Yann Joussein signe avec Phoque éventré un disque personnel et radical qui dépasse de loin les simples ressources de son instrument.

Des claviers aux effets de saturation, Phoque éventré visite un bruitisme électronique sombre et alcalin autant qu’il peut être ironique et farceur (la très courte reprise de « Fanfan » aux paroles presque inaudibles…). On avait pu constater, dans DDJ, que le batteur aimait particulièrement les ambiances infectieuses, les rythmiques binaires martelées et l’improvisation énergique ; ici, comme dans Q - où joue son autre comparse Julien Desprez -, Joussein prend le temps du silence à peine griffé d’un grouillement électrique pour ordonnancer son propre chaos, sa rythmique de cogneur.

C’est le cas de « D sE(T) » et son souffle perclus d’électronique qui se fait chasser par un roulement de toms intense, comme pour annoncer « JP III ». Cette longue pièce à l’atmosphère irrespirable, où la batterie semble se débattre dans un chaos industriel incontrôlé, est le pivot d’un album qui ne laisse guère de temps pour reprendre son souffle. Le bourdonnement barbare où la batterie se noie peu à peu devient une persistance auditive, submerge l’auditeur à son tour et l’érode jusqu’à la sensation physique. La batterie s’y accroche en une rage de cymbales tandis que les nappes suintantes d’une électricité implacable la soumettent au silence.

Il y a dans ce solo le goût pour les déchirures électriques de Rétroviseur, l’autre groupe du Collectif Coax avec qui Joussein avait déjà enregistré le morceau « Phoque éventré », ici interprété à la flûte et dans un brouillard de claviers que ne renieraient pas les bricoleurs électro du genre Squarepusher et surtout Aphex Twin, modèles assumés de ces jeunes improvisateurs. Sur la pochette jaune d’œuf de l’album, un dessin enfantin : un inuit sardonique fait rendre gorge à un phoque schématique. Ce monde de l’enfance, quoiqu’ici vaguement morbide - on retrouve à l’intérieur d’autres pinnipèdes trucidés par des gamins hilares -, rappelle le Lidlboj [1] de Jozef Dumoulin dans son approche électronique abstraite, pleine d’images et de rêveries soudaines. Mais chez Joussein, cette approche est inquiétante et enfiévrée, pleine d’une pénombre presque théâtrale. On ressort lessivé mais enchanté de cette expérience qui vient célébrer l’atmosphère très personnelle d’un improvisateur sans concessions futiles, à découvrir absolument sur scène.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 janvier 2012

[1Voir à ce sujet notre dossier sur le Jazz et l’Électronique.