Yannatou - Floridis - Guy - López

Imaginez un carré avec ses quatre côtés de longueur égale, dont chacun est assigné à un instrumentiste. S’ils doivent jouer ensemble pour créer une musique collective, ils peuvent logiquement se rejoindre au centre de cette figure géométrique en toute simplicité. Avec Savina Yannatou, Floros Floridis, Barry Guy et Ramón López, cela risque fort d’aboutir au problème de la quadrature du cercle qui reste l’une des grandes énigmes mathématiques depuis l’Antiquité. La détermination farouche qui anime ce quartet vise plutôt à faire abstraction de tous les problèmes insolubles et leur musique s’oriente alors vers l’immatérialité.

Rien n’est pressenti, les passages mélodieux alternent instantanément avec des explorations cadencées, la voix devance les sonorités des instruments. Savina Yannatou se distingue dans le chant contemporain par l’extrême brillance de ses aigus, qui rappelle la pionnière Tamia. Ses investigations s’appuient sur la tradition de la musique grecque et prennent des tournures inédites comme dans « Ydra 1 », tonique et lumineux. Défricheur de l’improvisation libre avec le premier enregistrement de free jazz produit en Grèce, Improvising At Barakos, en duo avec le pianiste Sakis Papadimitriou, Floros Floridis repousse les schémas de la tonalité. Ses rencontres avec les batteurs et percussionnistes, Okay Temiz, Paul Lytton, Paul Lovens, Andrew Cyrille et sa participation à l’Orchestre euro-américain de Cecil Taylor lui confèrent un rôle capital dans Kouartéto. Sa clarinette imprègne les séquences musicales avec acuité, « Ydra 4 » et « Ydra 7 » amplifient le matériau sonore jusqu’à une totale absence de repères.

L’extrême richesse instrumentale déployée ardemment par Barry Guy et Ramón López s’adosse à une prédominance mélodique mise en relief par des bruissements et par la part dévolue au silence. Profondément spirituels, « Ydra 6 (Greek Lullaby) », « Ydra 11 (Hebrew/Greek) » et « Ydra 13 (Albanian) » transcendent les chants ancestraux. Les racines helléniques investissent l’espace sonore et retracent un itinéraire poétique fait d’une beauté flagrante. Les treize pièces déploient une vaste palette émotionnelle qui accueille les mythes fondateurs de la musique accolés à des expérimentations avant-gardistes. Splendide, la pochette de l’album dénommée Kouartéto est due au peintre William Pownall, depuis longtemps établi sur l’île d’Hydra où cet album fut enregistré.