Chronique

collectif

Vol pour Sidney (retour)

Label / Distribution : Nato

On ne sait peut-être plus bien où l’on était en 1992 pour le Vol pour Sidney (Aller). Votre présent chroniqueur passait son Bac A, et Lol Coxhill effeuillait la « Petite Fleur ». On se souviendra en revanche où l’on était en 2020, chez nous et bien contraints, pendant qu’Elsa Birgé gambadait dans la luzerne en compagnie d’Ursus Minor, comme un passage de relais. Avec ce Vol pour Sidney (Retour), la maison nato renoue avec ces œuvres collectives qui ont fait sa renommée, et prouve que sur Sidney Bechet, on n’a pas encore tout dit. Ce ne sont pas Simon Goubert et John Dikeman, lancés dans un « American Rhythms » des plus durs et pénétrants, qui diront le contraire : le Vol pour Sidney connaît forcément des turbulences, mais il dit aussi sa modernité et sa fougue, ainsi que la relation intime qu’il entretenait avec ses batteurs.

Sidney Bechet en avant-gardiste. Les artistes de la maison nato gardent le cap entamé il y a 28 ans. Ils ont pourtant changé, même s’ils défendent d’identiques valeurs ; Ursus Minor découpe avec bonheur « Viper Mad » avec le côté le plus tranchant du baryton de François Corneloup pendant que Stokley Williams chante avec la plus juste des expressions. Plus loin, l’immense Catherine Delaunay célèbre la clarinette de Sidney dans un « Blues of Bechet » où Guillaume Séguron transforme sa contrebasse en un véhicule temporel qui rend grâce aux origines du jazz tout en jouant free, comme pour mieux laisser sa place à la raucité du Matt Wilson Quartet où rugit le cornet de Kirk Knuffke. Bechet est multifacette, et ce vol retour en offre un portrait cubiste, à défaut d’un portrait chinois…
Un « Portrait of Bechet » où Doan Brian Rossler et Nathan Hanson viennent rendre visite à l’orchestre de Petrichor ? Entre autres : toutes les dimensions sont présentes, comme cette amitié qui animait le clarinettiste et Brassens qui se traduit en deux morceaux : « Brave Margot » est joliment mis en musique par Matt Wilson et « Passport to Paradise » est l’occasion d’un bel échange entre Robin Fincker et Sophia Domancich, étonnamment tendu et morcelé.

Et bien entendu, avec nato, il y a l’objet. Pour ce disque, c’est Johan de Moor, fils de Bob [1] et auteur de la série Lait Entier, qui illustre la pochette de milliers de petites fleurs et autres mignonneries. Mais tout cela ne serait rien sans le flux qui irrigue tout l’album. Cette joie, ce bonheur qui saisit toutes les plages et ferait se dandiner jusqu’au plus confiné d’entre nous. On en revient à l’élan primesautier qui ouvrait cette chronique, et que Sylvaine « Spring Roll » Hélary perpétue dans un très beau « When The Sun Sets Down South ». Qui d’autre que la maison nato peut se vanter de sortir un album qui répond parfaitement à l’époque et offre son lot de vitamines nécessaires ?
Est-ce de la clairvoyance politique, ce qui ne nous étonnerait guère de la part de Jean Rochard et de ses amis de la maison nato, ou la vitalité immense de la musique de Bechet ? Un peu des deux sans doute, au-delà des surprises inhérentes aux ouvrages à plusieurs mains.

par Franpi Barriaux // Publié le 24 mai 2020
P.-S. :

Avec : Catherine Delaunay, Donald Washington, Nathan Hanson, Guillaume Séguron, Doan Brian Roessler, Davu Seru, Matt Wilson Quartet (avec Jeff Lederer, Kirk Knuffke, Chris Lightcap), Hymn for Her (Lucy Tight, Wayne Waxing), Elsa Birgé, Ursus Minor (Tony Hymas, Grego Simmons, François Corneloup, Stokley Williams), Sylvaine Hélary « Glowing Life » (avec Antonin Rayon, Benjamin Glibert, Christophe Lavergne), John Dikeman, Simon Goubert, Sophia Domancich, Robin Fincker

[1Bob de Moor était l’un des plus proche collaborateur d’Hergé, NDLR