Chronique

Daniel Yvinec

The Lost Crooners

Daniel Yvinec (b), Nelson Veras (g), Stéphane Galland (d) et Benoît Delbecq (p), Médéric Collignon (voc, pocket tp).

The Lost Crooners annonce la couleur. Couleur qui n’étonnera pas celui qui connaît la palette de Daniel Yvinec. Le contrebassiste affectionne particulièrement les chansons du music-hall américain, qu’il avait déjà largement utilisées dans Wonderful World. Rien d’étonnant donc à ce qu’Yvinec puise à nouveau dans les morceaux de ce répertoire « que pour la plupart je n’avais jamais encore joués et dont je connaissais pourtant chaque mot » [1]

De « I Fall In Love Too Easily » à « Goodbye » en passant par « Alone Together » ou « I Shoud Care », l’auditeur se (re)plonge dans les classiques du genre et revoit « quelques uns de ces trésors de chevet » [2]. Et ce ne sont pas des paroles en l’air : The Lost Crooners ne compte pas moins de seize morceaux, courts, mais intenses.

Sur Wonderful World, le piano de Guilaume de Chassy dialoguait avec la contrebasse. Aujourd’hui, changement de décor : Yvinec a choisi un trio pour peindre sa toile musicale. Le piano est remplacé par la guitare de Nelson Veras et c’est Stéphane Galland (Aka Moon) qui est derrière les fûts. Le trio interprète dix des seize chansons, et le piano de Benoît Delbecq s’immisce sur trois plages, tout comme la « pocket trumpet » de Médéric Collignon.

La musique d’Yvinec est moderne, élégante et minimaliste, sans pour autant être distante et froide. Quelques introductions, de rares solos, Yvinec joue peu de notes, mais avec pertinence. Sa basse place les accents de manière à surligner les idées des autres : parfois dans les aigus, plus souvent dans les graves… et, parfois circonflexes… A une grande diversité de ponctuations – notes isolées, brèves lignes en walking, slapping léger, riffs etc. - le contrebassiste allie un gros son bien grave qui sert à merveille l’esprit disparu des chanteurs de charme…

Il en va de même pour Veras : sonorité acoustique claire, phrasé velouté, aérien et « doux à la brésilienne », avec une capacité d’invention impressionnante qui évite les clichés « bossanovesques ». Voilà un guitariste qui joue traditionnellement moderne. C’est ce qu’il fallait à Yvinec.

Quant à Galland, chapeau bas ! Il en « met partout », certes, mais avec quelle finesse ! Sa longue complicité avec Veras renforce encore davantage la cohésion du trio. Le batteur « trilogue » avec un à-propos exceptionnel : reprise de la mélodie à l’unisson, départ en contrepoint ou variations subtiles… il montre une musicalité accomplie et un sens de l’écoute à l’affût de la moindre intonation.

Médéric Collignon apporte de son côté une majesté impressionnante. Quand il « chansouffle » dans sa trompette de poche, sa sonorité se rapproche de la flûte de pan et ses duos avec la contrebasse prennent une ampleur théâtrale émouvante.

Quant à Delbecq, il est égal à lui-même : d’une contemporanéité swingante, minimaliste classieux et plein d’humour, il déploie avec beaucoup de recul un jeu d’avant-garde en symbiose parfaite avec ses partenaires. Et le tout, sans jamais perdre ce déséquilibre rythmique qui fait – presque - tout l’intérêt du jazz. Décidément, et le groupe Kartet le confirme, il est clair que ce pianiste compte.

The Lost Crooners est réussi ! Présentées dans un écrin sonore velouté, les mélodies sont jouées à bras le corps, sans complaisance. Et un tel cocktail engendre une tension particulièrement réjouissante.


  1. « The End Of A Love Affair », Edward Redding (4’04).
  2. « I Should Care », Sammy Cahn, Axl Stordahl & Paul Weston (2’59).
  3. « Skylark », Johnny Mercer & Hoagy Carmichael (4’04).
  4. « Once I Loved », Antonio Carlos Jobim (4’03).
  5. « Everything Happens To Me », Tom Adair & Matt Dennis (5’25).
  6. « I Fall In Love Too Easily », Sammy Cahn & Jule Styrne (2’19).
  7. « I’ll Be Seeing You », Sammy Fain & Irving Kahal (3’49).
  8. « If I Should Lose You », Ralph Rainger & Leo Robin (3’41).
  9. « 03/09/2007 16:23 », Daniel Yvinec, Nelson Veras & Stéphane Galland (0’53).
  10. « Smile », Charlie Chaplin (4’33).
  11. « Alone Together », Howard Deitz & Arthur Schwartz (3’50).
  12. « Wave », Antonio Carlos Jobim (1:08).
  13. « Moon And Sand », Alec Wilder, Morty Palitz & William Engvick (4’23).
  14. « Moon River », Henry Mancini (3’39).
  15. « Valentine’s Day », Daniel Yvinec, Nelson Veras & Stéphane Galland (2’48).
  16. « Goodbye », Gordon Jenkins (3’52).