
von Schlippenbach & Altschul Quartet
Free Flow
Alexander von Schlippenbach (p), Rudi Mahall (bcl), Joe Fonda (b), Barry Altschul (d)
Label / Distribution : Fundacja Słuchaj
Certains orchestres vous affolent avant même d’avoir posé le disque sur la platine. On est parfois déçu, comme si l’enjeu était trop grand ; souvent, au contraire, c’est beaucoup plus excitant que les promesses attendues. Free Flow, nouveau fleuron du label Fundacja Słuchaj appartient au second cas, et la certitude était grande. En septembre 2023, dans le très beau club Porgy & Bess de Vienne, en Autriche, le batteur Barry Altschul, membre d’un grand quartet de Braxton dans les années 70, compagnon de route de Chick Corea ou membre du Jazz Composer’s Orchestra, invitait en quartet, aux côtés du pianiste Alexander von Schlippenbach, le contrebassiste Joe Fonda et le clarinettiste Rudi Mahall. Au cœur d’une base rythmique ahurissante, la clarinette basse de ce dernier illumine l’ensemble d’une couleur dense, épaisse, tirant vers un vermillon subtil, concentré d’énergie et de rage dans un orage noir et puissant.
En deux disques et autant de session, le quartet livre deux discussions longues et sans temps faibles, à peine parfois la clarinette se fond-elle dans l’archet de la basse pour offrir un bourdon versatile qui laisse beaucoup de place au piano de Schlippenbach. Le pianiste, qui offre une prestation très rythmique, ne peut pas s’affranchir de la douceur, surtout aux côtés d’un vieux compagnon comme Mahall, qui exulte manifestement d’apparaître dans ce quartet, légende au milieu des légendes. Dans ce maelstrom plein de vie, Mahall laisse parfois la place à Joe Fonda et Altschul pour converser avec le pianiste dans un tramage très serré où la batterie joue essentiellement de ces cymbales. Le travail de Mahall est ahurissant, et si le quartet emprunte à Monk quelques digressions (on entend « Work » quelques minutes dans la première session, « Wee See » plus loin), c’est essentiellement à un caractère dolphyen que l’on songe à cette écoute.
Les deux sessions proposées par le quartet représentent plus d’une heure et demie jubilatoire. Les idées se succèdent et se chamboulent sans round d’observation, et l’on a le sentiment que ceux-là se connaissent depuis toujours. D’apparence plus discret, Fonda a un rôle primordial de liant, répondant avec douceur aux soudains orages convoqués par le piano. Entièrement improvisée, cette aventure turbulente est de celles qui peinent à vous quitter et auxquelles on revient volontiers pour en découvrir de nouvelles déviations imprévues dans la mitraille de ce très grand batteur qu’est Barry Altschul, au sommet de son art.

