Chronique

Amañ Octet

Rumble

J. Alluin (p, comp., arr.), J. Ravenel (bs, ts, ss), O. Ente (tuba), S. Bernier (dms), P. Regnauld (b), T. Laroche (as, clb), B. Gaudiche (tp, bugle), P. Bernier (ss, ts) + N. Herczog (voc), J.-M. Petri (fl).

Label / Distribution : Autoproduction

Dans un entretien qu’il accordait récemment à Citizen Jazz à l’occasion de l’enregistrement de son prochain album en quartet, Daniel Humair soulignait la richesse du jazz européen, en butte à une concurrence américaine qui ne se justifie pas toujours : « Il y a du jazz partout en Europe, formidable aussi, des musiciens exceptionnels ». On ne peut qu’approuver ses propos et rappeler à quel point le monde du jazz, surtout sur scène, est concurrentiel. Ce disque signé par une jeune formation bretonne est une illustration supplémentaire de cette richesse, d’autant plus difficile à faire exister dans le temps qu’elle compte un nombre élevé de musiciens.

Deuxième album de l’Amañ Octet [1], créé en 2007, Rumble hisse avec aplomb les couleurs de son jazz inventif et nerveux, servi par une escouade de huit musiciens (ici renforcés par trois invités), tous issus de Bretagne. Ceux-ci évoluent avec la fougue créative que les compositions du pianiste Jeff Alluin, également auteur de tous les arrangements, savent mettre en valeur. Cet autodidacte en jazz qui, de formation classique, s’est ensuite perfectionné auprès de musiciens comme Éric Le Lann, Benoît Sourisse ou Pierre De Bethmann, ne manque pas de belles idées, ici réunies dans un disque attachant. Malgré un nom qui signifie « l’Octet du coin », la musique ici n’a rien de régional : il ne s’agit pas pour le groupe d’affirmer une identité de terroir surannée mais au contraire d’explorer – et c’est réussi – un territoire plus incertain, celui du jazz, par ce qu’il sous-entend de rigueur dans un esprit de conquête de nouveaux espaces. Les musiciens se mettent au service de cette entreprise et le pari est gagné.

Il y a de belles forces en présence dans ce collectif soudé qui déploie une saine énergie, bien soulignée par une rythmique solide et souple. Celle-ci tient à la présence de Philémon Regnauld à la contrebasse et de Simon Bernier à la batterie (et de Jeff Alluin au piano), certes, mais on n’oubliera pas la voix d’Olivier Ente au tuba, qui lui confère une rondeur gourmande. Et si toute la musique produite n’est pas d’un égal niveau de densité (le chant un peu académique de Nathalie Herczog, invitée sur deux titres), la quasi-totalité est de très belle facture. Ceci est dû en premier lieu à la nature des compositions de Jeff Alluin, complexes sans être démonstratives, fertiles en rebondissements et changements de rythmes et de climats, mais aussi à la richesse des arrangements, qui savent utiliser avec beaucoup de brillance la palette de couleurs proposée par les souffleurs, très en verve et dont le lustre est en quelque sorte l’ADN du groupe. Alluin a composé un répertoire chatoyant, presque cinématographique, dont la précision n’entrave jamais les interventions des solistes. En metteur en sons avisé, il crée des éclairages suffisamment variés pour que chacun trouve un terrain favorable au développement de son discours. Et c’est quand l’Amañ Octet gronde, vrombit [2] qu’il dégage son plus fort pouvoir d’attraction.

Toujours facteur de réduction, le format du disque laisse entrevoir une belle machine scénique qu’on ne se privera pas de découvrir à la première occasion. Car il y a de la vie dans cette musique qui va grandir encore, et c’est l’essentiel.

par Denis Desassis // Publié le 19 juin 2012

[1Le premier, sobrement intitulé Amañ Octet, était sorti en 2009.

[2Rien d’étonnant finalement puisqu’en anglais, le mot rumble signifie « grondement ».