Chronique

Andreas Schaerer Arte Quartett Wolfgang Zwiauer

Perpetual Delirium

Andreas Schaerer (voc, beatbox, comp), Beat Hofstetter (ss, ts, sns), Sascha Armbruster (as, ss), Andrea Formenti (ts, bs), Beat Kappeler (bs, tubax), Wolfgang Zwiauer (b)

Label / Distribution : BMC Records

Depuis quelques mois, la notoriété du chanteur suisse Andreas Schaerer ne cesse de croître sur la scène jazz européenne. Leader du réjouissant Hildegard Lernt Fliegen, il multiplie également les collaborations avec la fine fleur du jazz helvète, de Banz Oëster au percussionniste Lucas Niggli, avec qui il a récemment enregistré Arcanum Moderne (Élu Citizen Jazz). Son univers est riche, turbulent, en perpétuelle expansion. Après l’immédiateté de son pas de deux avec Niggli, voici qu’il s’aventure sur le terrain d’une écriture que l’on savait déjà foisonnante avec Hildegard, en compagnie du bassiste Wolfgang Zwiauer et du quartet de saxophone Arte Quartett pour le label Budapest Music Center. Du beatboxing à Bartók, Perpetual Delirium permet à ce syncrétisme revendiqué d’affirmer sa forte identité. Depuis deux décennies, l’Arte Quartett croise bon nombre de grands noms de la musique improvisée suisse, que ce soit au sein du Pierre Favre Ensemble ou aux côtés d’Urs Leimgruber ; mais leur notoriété a franchi les frontières à l’occasion d’enregistrements avec des musiciens tels que Fred Frith ou Tim Berne. Andreas Schaerer est le premier chanteur avec qui l’ensemble collabore. Après une rencontre autour de la musique de Kaspar Ewald, c’est le quartet qui a commandé au chanteur ce nouveau répertoire.

A l’écoute d’« Artediem », qui débute dans un tutti de saxophone avant de s’organiser en subtile construction ouvragée soutenue par la basse douce de Zwiauer, on imagine le plaisir du compositeur face à l’infini des capacités déployées. Les onomatopées scandées par une voix qui peut passer de l’aigu au grave en un instant et sans rupture se saisissent d’une phrase sortie du sopranino de Beat Hoffstetter ; la musique au reflets baroques ourlés d’un groove diaphane semble utiliser toutes les possibilités et les entrecroisements d’un quartet dont la double culture classique et jazz permet tous les détours. On s’en aperçoit notamment avec « Grosser Bruder Von Q1 », dont les éclats rappellent le Concerto Grosso de Laurent Dehors : le chanteur, qui dirige cette musique écrite, agit comme s’il pressait sur commande chaque touche d’un synthétiseur vivant et créatif, s’amusant des détails et des effets sans craindre la futilité ou la redite tant le programme est solide.

Voici ce qui fait la force de « Zirzensisches Mittelstueck » et cette entrée en matière où le tubax de Beat Kappeler vient se joindre à la base rythmique exubérante faite de cordes et de beatbox. Comme dans ce « Sampfanfe » aux allures klezmer, Schaerer et l’Arte Quartett se rendent coup pour coup, s’échangent les rôles ou se confondent parfois en un fascinant jeu de miroirs. A commencer par « Perpetual Delirium », où la masse brute qui se polit au gré du morceau laisse voleter dans l’air des chimères de trio : une voix et un quartet devenu indivisible entre lesquels s’instille une basse. C’est ce que Schaerer explique avec beaucoup de passion dans le documentaire qui accompagne le DVD inclus, qui nous fait profiter d’un concert de cette alliance inédite. Pour écrire, le chanteur a passé plusieurs mois à scanner chaque timbre, littéralement, chaque slap, chaque souffle à sa disposition pour y introduire sa voix et ses rythmes comme une ligne de sax supplémentaire, tout en pensant son œuvre comme les quatuors à cordes de Bartók ou Ligeti. Le résultat, saisissant, signe son disque le plus abouti, entre haute voltige et haute couture.