Chronique

Avishai Cohen Trio

From Darkness

Avishai Cohen (b), Nitai Hershkovits (p), Daniel Dor (dms).

Label / Distribution : RAZDAZ Records

Avishai Cohen signe ici son treizième album en tant que leader. From Darkness fait suite à Almah (2013), pour lequel son trio s’était étoffé d’un quatuor à cordes et d’un hautbois. Un an auparavant, Duende se déployait dans un cadre plus intime, celui d’un duo avec Nitai Hershkovits, jeune pianiste qui signait alors son entrée dans l’univers du contrebassiste. Mais surtout, depuis Aurora (2009) puis Seven Seas (2010), il chante, et on observe un phénomène Avishai Cohen. Sa renommée ne cesse de croître, au point qu’il remplit désormais les salles longtemps à l’avance et fait rayonner son art bien au-delà du cercle du jazz.

Sa musique est immédiatement identifiable : voyageuse dans l’âme, elle se nourrit d’influences méditerranéennes et moyen-orientales, parfois relevées d’une pointe latino qui peut surgir à tout moment (probables réminiscences des clubs new-yorkais qu’il a fréquentés durant les années 90). Et même s’il dit vouloir avec ce disque, « tracer un chemin qui s’extrait des ténèbres pour prendre de la hauteur et gagner la lumière », on ne peut échapper à un sentiment de ce que nous désignions il y a quelque temps déjà sous le nom d’« harmonie inquiète ». Mais quoi d’étonnant, après tout, quand « Abie » évoque l’agression à l’arme à feu d’un ami ou « Ballad For An Unborn » (déjà présent sur Duende) la perte d’un enfant ? A. Cohen peut bien célébrer la beauté, il sait que la vie est un combat permanent et que tout être humain se doit de trouver l’équilibre – toujours instable – entre force et vulnérabilité.

From Darkness est l’œuvre d’un musicien accompli, internationalement reconnu et sûr de son fait. Le contrebassiste montre ici, comme il nous y a habitués, beaucoup de brillance et de cohésion, dans une formation renouvelée par l’arrivée d’un nouveau batteur, Daniel Dor. Au long de ces onze instrumentaux, brefs pour la plupart [1], dont une reprise de « Smile », thème des Temps modernes signé Charlie Chaplin, on reste néanmoins partagé entre une forme d’admiration proche du respect envers la justesse de cette musique qui s’exprime avec tant de virtuosité et concision, et une pointe de regret : celui de se retrouver en terrain connu sans surprise ni incertitude. From Darkness n’est pas à proprement parler une redite, mais il y flotte un petit air de déjà entendu. Sans doute s’agit-il d’une pause avant de nouvelles explorations, qu’on espère moins prévisibles. En d’autres termes, au-delà de ses qualités intrinsèques, le disque nous laisse un peu sur notre faim.

En attendant, on peut penser que ce répertoire fournira à Avishai Cohen, Nitai Hershkovits et Daniel Dor matière à de beaux moments de scène, d’autant qu’on sent entre eux un véritable équilibre ; la fièvre ici très (trop ?) contenue dans sa version studio, « sur papier glacé », pourra vite gagner le trio. Et le public ne manquera pas de s’embraser.

par Denis Desassis // Publié le 23 mars 2015

[1Avishai Cohen revient donc à la formule de Gently Disturbed (2008).