Scènes

Balzac sous le signe de Zorro

Le Ciné X’tet de Bruno Regnier : The Mark of Zorro


Le 13 décembre 2009 Bruno Regnier présentait sa dernière réalisation avec le Ciné X’tet au « Balzac ». Mais qu’allait donc faire un orchestre de jazz contemporain, à dix heures du matin, dans un cinéma des beaux quartiers ?

Parmi ses groupes regroupés sous l’appellation « À suivre », Regnier a créé le Ciné X’tet pour accompagner des films muets du siècle dernier. Après Sherlock Junior Jr. et Cadet d’eau douce de Buster Keaton, c’est sur The Mark Of Zorro qu’ils ont jeté leur dévolu en 2008. Pourquoi Le Balzac ? Parce que depuis 1973, Jean-Jacques Schpoliansky, directeur de ce cinéma indépendant d’art et d’essai créé en 1935, en fait un centre culturel qui utilise judicieusement les ressources de ses trois salles, de son foyer et de son bar. A côté des traditionnels « films à l’affiche », il a mis en place une programmations originale, « Le goût du court », consacré bien sûr aux courts métrages, mais aussi des concerts de musique classique ou improvisée, des expositions de photos, des ciné-concerts, ainsi que « l’Enfance de l’art » pour faire découvrir les grands classiques du cinéma aux enfants et « Pochette surprise », qui propose un ciné-concert aux familles une fois par mois.

Et ça marche. Malgré le froid et l’heure matinale, les spectateurs-auditeurs s’entassent sur le trottoir. La salle principale, refaite en 1993, a un charme certain avec son lustre Art Déco, son écran à dimension humaine, son bel amphithéâtre et ses sièges confortables. Surgi de nulle part - et masqué ! -, le sympathique Schpoliansky présente le ciné-concert et invite les enfants déguisés en Zorro pour une « photo de famille » avant le spectacle : l’ambiance s’annonce donc bon enfant. L’orchestre tient à peine sur la petite scène du Balzac et Thémines a même du mal à se hisser à sa place ; il finira par faire tomber son pupitre pendant le film…

Pendant le film (une copie entièrement rénovée), les rires fusent, les parents lisent les sous-titres à mi-voix aux enfants qui, à leur tour, font des commentaires… sans pour autant gêner ni les autres spectateurs ni les musiciens, au contraire : cela contribue à les décontracter (dixit Regnier). Le film de Noblo, écrit, produit et joué par Fairbanks [1] est historique : c’est la première d’une longue série d’adaptations cinématographiques [2], de The Curse of Capistrano, roman de cape et d’épée écrit par Johnston McCulley en 1919. Même si l’histoire est connue et entachée de quelques longueurs, Le signe de Zorro reste captivant grâce à son énergie, qui tire sa source du burlesque : intrigue limpide, scénario linéaire et précis, mise en scène nerveuse, jeu théâtral des acteurs (les mimiques irrésistibles de Noah Beerry dans le rôle du Sergent Gonzales ou les mines langoureuses de Marguerite De La Motte dans le rôle de Lolita)… Sans oublier Fairbanks bien sûr, qui porte le film avec un détachement insolent, un humour contagieux et des cascades à faire pâlir Belmondo et Jackie Chan.

Tandis que le spectateur retient son souffle devant les prouesses de Zorro, le Ciné X’tet illustre les exploits de Don Diego. C’est déjà une performance en soi quand on sait que Le signe dure près de 150 mn (le disque, lui, dure un peu plus de 50 mn). Évidemment, l’absence de dialogues rend la bande-son d’autant plus présente. La partition accompagne parfaitement les images… et réciproquement, si bien qu’il est facile de suivre les deux simultanément. Même si on est tenté de reporter son attention tantôt sur les acteurs tantôt sur les musiciens, la complicité est telle que le spectateur ne perd jamais le fil ni d’un côté ni de l’autre. Sur un thème central léger et dynamique, le Ciné X’tet déroule des variations et improvisations qui s’inspirent librement de valses, ritournelles médiévales, danses espagnoles, blues… mais trouvent aussi leurs sources dans l’esprit des orchestres d’Henri Texier, Carla Bley, voire Charles Mingus (cf. la chronique de Citizen Jazz). Les solistes sont irréprochables et, sans doute portés par l’intensité des morceaux, par la fougue du film et l’enthousiasme du public, les chorus encore plus mordants que sur l’album.

par Bob Hatteau // Publié le 7 janvier 2010

[1En 1919, pour échapper à l’emprise des producteurs qui voulaient réduire leur rémunération, Fairbanks, Griffith, Chaplin et Mary Pickford créent la célèbre United Artists.

[2Une quarantaine de films, une demi-douzaine de dessins animés et autant de séries télévisées…