Chronique

Ciné X’tet - Bruno Regnier

The Mark Of Zorro

Alain Vankenhove (tp), Matthias Mahler (tb), Jean-Baptiste Réhault (as), Rémi Dumoulin (cl, ts), Olivier Thémines (cl), Vincent Boisseau (cl), Pierre Durand (g), Frédéric Chiffoleau (b) et Bruno Regnier (direction).

Label / Distribution : Jazz à Tout Va


Bruno Regnier a regroupé ses différentes formations sous la bannière « À suivre », nom du projet qu’il a créé en 1992 pour explorer différentes voies musicales « autour du jazz contemporain et de ponts lancés entre écriture et improvisation, solistes et grand orchestre, tradition et création ».
Aujourd’hui, il développe ses conceptions via trois orchestres à géométrie plus ou moins variable [1] : le X’tet se consacre à des expériences musicales diverses (les répertoires de Duke Ellington, Thelonious Monk ou Charles Mingus, mais aussi des compositions du chef d’orchestre souvent associées à la peinture, la danse etc), le Brass’tet joue avec les vents (douze pour deux percussionnistes), et le Ciné X’tet, avec ses neuf musiciens, accompagne des projections de films muets.

Après deux belles réussites sur des films de Buster Keaton (Steamboat Bill Jr. et Sherlock Jr.), Regnier s’attaque à un autre classique du muet : Le signe de Zorro. Il s’agit de la première version cinématographique des aventures du célèbre justicier masqué, tournée par Fred Niblo [2].

La bande-son originale, signée Mortimer Wilson, n’a pas été conservée. La musique composée par Regnier pour Le signe de Zorro suit un fil conducteur, décliné en « sous-thèmes » ou variations selon les ambiances, comme s’il prenait le parti de s’attacher davantage aux scènes qu’aux personnages : elle sublime l’ambiance au lieu d’étoffer le rôle. Orchestration oblige, le Ciné X’tet a évidemment un petit côté fanfare, et les morceaux comportent maints contrepoints (« Verguenza de tu »), motifs fugués (« Don Diego a la casa del Pulidos »), chœurs, dialogues, superpositions et croisements de voix (« Sergent Gonzales »)… L’orchestre puise également son inspiration dans la valse (« El pobre cura », « ¡Ay ! Lolita »), le blues (« Con padre »), les musiques espagnoles (« Entermes Uno ») ou médiévales (« Don Diego l’Boulet ») mais aussi chez Duke Ellington (les effets « moody » qui accompagnent Don Diego), Henri Texier (le superbe « Fight n’Kiss » [3]), Carla Bley… En intégrant une telle variété de vocabulaires et de syntaxes, Regnier et son Ciné X’tet réussissent à créer un idiome singulier qui dépasse largement le cadre de la musique de film.

Ni batterie ni piano ici, mais aux accords solides et touffus de Pierre Durand (guitare) répondent les lignes inébranlables et harmonieuses de Chiffoleau (contrebasse) - deux musiciens qui bétonnent l’ossature. Quant aux soufflants, ils ont des références : ONJ, CNSM, AFIJMA, CNR, EMM et… X’tet ! Autant de sigles qui posent là les neufs pointures du Ciné X’tet ; les clarinettes swinguent à tout va, Réhaut charge son saxophone alto d’émotions, Dumoulin a la nonchalance d’un vieux « West-Coaster », Mahler joue le blues à merveille, Vankenhove promène de graves en aigus sa trompette tonitruante… En bref : ça joue juste, pense clair, sonne limpide et tombe à pic.


  1. « Caballeros a la Posada » (3’40).
  2. « DD a la Casa del Pulidos #1 » (2’10).
  3. « DD a la Casa del Pulidos #2 » (2’04).
  4. « El Pobre Cura #1 » (2’32).
  5. « Sergent Gonzales » (3’39).
  6. « Primero desafio » (1’08).
  7. « Con Padre (et réciproquement) » #1 (2’49).
  8. « Con Padre (et réciproquement) » #2 (3’00).
  9. « Valse 1 » (1’04).
  10. « Ay ! Lolita » (8’28).
  11. « Entermes Uno » (1’04).
  12. « Fight n’ Kiss » (2’47).
  13. « To Love is to Trust, Señor ! » (2’20).
  14. « Entermes Dos » (1’17).
  15. « DD l’Boulet » (5’00).
  16. « El Pobre Cura #2 » (2’45).
  17. « Valse 2 » (0’26).
  18. « Vergüenza de Tu » (2’15).
  19. « Cabalgada y Final Feliz » (4’05).

Tous les compositions et arrangements sont signés Bruno Regnier.
« Fight n’ Kiss » est insipiré de « Dance Revolt », d’Henri Texier.

par Bob Hatteau // Publié le 7 janvier 2010

[1D’où le « X’tet » qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne signifie pas que tous les titulaires doivent être passés par Polytechnique…

[2Egalement connu pour sa version des Trois mousquetaires en 1921 et une première adaptation de Ben Hur en 1925 avec Douglas Fairbanks dans le rôle-titre.

[3Morceau inspiré par « Dance Revolt » de l’album (V)ivre.