Chronique

Bugge Wesseltoft

Everybody Loves Angels

Bugge Wesseltoft (p).

Label / Distribution : ACT

Vingt ans plus tard…

En 1997, Siggi Loch s’était intéressé de très près à Bugge Wesseltoft qui venait de réaliser le disque New Conception Of Jazz. Dans cet album, le pianiste élaborait une musique minimaliste, presque glacée, où l’électronique occupait une place de choix et savait ménager de larges espaces destinés aux respirations et aux silences. Il s’engouffrait ainsi dans la voie d’un nu jazz, dont le trompettiste Niels Petter Molvær était alors l’une des figures majeures. De quoi retenir l’attention du patron d’Act Music qui proposa à Wesseltoft d’enregistrer un album solo acoustique pour son label, en prenant les chants de Noël comme fil rouge. Une offre de service qui suscita une pointe de défiance chez le pianiste, guère enclin à s’engager dans un tel type de célébration dont il déplorait les excès commerciaux. Néanmoins, les deux hommes finirent par se rencontrer et par collaborer, jusqu’à l’enregistrement de It’s Snowing On My Piano, devenu par ailleurs l’un des plus grands succès commerciaux d’Act Music.

Cette époque semble lointaine aujourd’hui : plus que jamais, nos vies sont rythmées par une urgence souvent virtuelle et par l’abondance d’un flux d’informations qui se chassent l’une l’autre avant de tomber dans les oubliettes de nos mémoires volatiles. Comment s’arrêter ? Comment réfléchir ? C’est peut-être une réponse à ces questions que fournit aujourd’hui le Norvégien, réfugié dans une cathédrale construite en bois du côté des îles Lofoten en Norvège, où un piano Steinway l’attendait.

Finis les chants de Noël, place cette fois à Everybody Loves Angels et une sélection de compositions qui ont nourri Bugge Wesseltoft depuis de longues années et sont en quelque sorte son terreau : « Bridge Over Troubled Water » (Simon & Garfunkel), « Angel » (Jimi Hendrix), « Morning Has Broken » (Cat Stevens), « Blowing In The Wind » (Bob Dylan), « Angie » (The Rolling Stones), « Let It Be » (The Beatles), « Locked Out Heaven » (Bruno Mars). Ainsi que plusieurs thèmes du répertoire classique dont un choral de Bach. Soudain, le temps semble s’arrêter et la place accordée aux silences, donner la mesure d’une approche éminemment contemplative. On comprend alors ce qu’exprime le pianiste quand il écrit : « Au fil des ans, la nature est devenue pour moi une source d’inspiration de plus en plus importante. Dans ce lieu, j’ai ressenti à certains moments que je faisais partie de quelque chose de beaucoup plus grand. Je crois qu’il n’y avait pas d’endroit plus en prise avec la nature que Lofoten ». Il est étonnant de voir (ou plutôt d’entendre) comment les onze compositions finissent par se confondre en une seule et lente ballade qui chante doucement pendant près d’une heure. Bugge Wesseltoft, qu’on devine en quête de méditation, se laisse guider par la nécessité de chasser les pensées parasites et de se retrouver face à lui-même.

Ralentir, épurer, savoir ne jouer qu’une seule note si la deuxième est bavardage, lever les yeux vers le ciel, être en prise avec les éléments, oublier… Voilà ce que suggère Everybody Loves Angels, disque minimaliste et serein. Hors du temps, classique déjà.