Chronique

Construction

Centreline Theory

Robin Fincker (ts, cl), Tim Harries (b), Hilmar Jensson (g), Jim Bashford (dms)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Il y a pourtant 40 kilomètres à peine entre les deux côtes, mais la Manche est un bras de mer suffisamment hostile pour que les voisins s’ignorent ; c’est dommage, mais c’est ainsi. Le jazz britannique est largement méconnu sur le continent et, de ce fait, sous-estimé. Il y a bien sûr les anciens héros, les légendes ou les têtes de gondole [1]. Ces derniers ont les branches suffisamment épaisses pour cacher du mieux qu’ils peuvent toute une forêt de jeunes pousses : Michael Janisch, Matthew Bourne pour n’en citer que deux, ou encore Jim Bashford, batteur trentenaire qui avec le quartet Construction propose Centreline Theory, un premier album enregistré en 2014 et publié seulement deux ans plus tard sur le label Leo Records. Même des musiciens tel Robin Fincker, présent ici et bâtissant avec le Loop Collective ou en compagnie de Vincent Courtois des ponts entre Paris et Londres, n’arrivent pas toujours à briser les barrières douanières.

Pourtant, il y a bien du talent dans Construction. On retrouve dans les rythmiques acrobatiques de « Syeung Don Teen », tout comme dans la basse rogue et sèche de Tim Harries sur « Attack And Defense Pyramids », une véritable proximité avec un rock très raffiné. Peut-on encore s’en étonner ? C’est un paradigme assez courant dans le jazz outre-Manche. Bashford a d’ailleurs travaillé avec Dave Sinclair, la légende de Caravan. Mais ce n’est pas ici une fin en soi. On pourrait songer avec « Abandon », lorsque la guitare de Hilmar Jensson vient relayer la basse et préparer les accélérations omniprésentes du ténor de Fincker, à un cousinage avec Get The Blessing. Mais Bashford ne tombe pas dans cet écueil, et si Construction fait preuve d’une indéniable énergie, elle est concentrée dans le jeu plus que dans l’attitude et la puissance.

Les compositions ainsi que la mécanique générale du quartet témoignent d’une direction bien plus complexe que celle prise par leur compatriotes. Témoin cette sensation de mouvement perpétuel, nullement cosmétique. « 108 movements » par exemple, n’a rien d’une posture. La présence du guitariste islandais, dont la participation à AlasNoAxis il y a quinze ans aux côtés de Jim Black a contribué largement à l’aura du groupe, devient au fil du disque de plus en plus prédominante, jusqu’à dominer totalement le roboratif « Journeys Art », sommet de l’album. Centreline Theory est une porte entrouverte sur une scène méconnue ; même si quelques titres peuvent sembler anecdotiques, ce disque mérite une écoute attentive.

par Franpi Barriaux // Publié le 26 février 2017

[1On vous laissera ranger, à votre gré les Lol Coxhill, Mike Westbrook ou Jamie Cullum… C’est dur !