Chronique

[DVD] Jacques Vidal

Dans l’Esprit de Mingus

Jacques Vidal (cb), Eddie Henderson (tp), Pierrick Pedron (as), Eric Barret (ts), Daniel Zimmermann @ Glenn Ferris (tb), Isabelle Carpentier (voc), Frédéric Sylvestre (gt), Manuel Rocheman (p), Simon Goubert (dr).

Nos amis contrebassistes manifesteraient-ils une prédisposition particulière à nous faire partager leurs petits secrets de fabrication ? Après le Strada Sextet d’Henri Texier qui avait laissé les caméras de Fabrice Radenac et Alexandra Gonin se faufiler dans l’intimité feutrée du studio Gil Evans d’Amiens lors de l’enregistrement d’Alerte à l’eau [1], voici venu le tour de Jacques Vidal, qui nous permet de découvrir la genèse de son Mingus Spirit, enregistré en 2006 et que Citizen Jazz avait salué comme il se doit au moment de sa publication.

Ce DVD signé Julian Terreaux, qui s’intitule sobrement Dans l’esprit de Mingus [2], nous laisse profiter des échanges constants entre les musiciens, dont les discussions sont toutes empreintes d’un respect mutuel qui montre à quel point il est question ici d’amitié, d’écoute et d’humilité. Quel beau moment que l’arrivée de grand Eddie Henderson, qui impose le respect dès son entrée dans le studio ! Comme les autres, il a son mot à dire sur la façon de jouer les compositions de Jacques Vidal et s’appuie volontiers sur le bilinguisme de Glenn Ferris pour mieux se faire comprendre. On apprécie les suggestions de Simon Goubert, très investi, comme toujours, pour faire évoluer l’introduction d’une composition ; Vidal écoute : il sait qu’il n’est pas le propriétaire exclusif de la matière sonore en création. Il y les regards aussi, celui du contrebassiste ou du batteur lorsque, enfermés dans leur cabine, fausse prison de verre dont ils ne tardent pas à s’échapper par le jeu, ils intériorisent la musique avant d’y entrer de plain-pied, les yeux fermés.

Et puis les mots, ou la difficulté de les trouver - d’exprimer ce qui vibre à l’intérieur de soi. Ces bribes de phrases sont peut-être les moments les plus forts de ce documentaire, filmé au plus près des hésitations lorsque les uns et les autres essaient de verbaliser leurs sensations. Vidal semble presque s’excuser d’avoir, citons-le, « tenté d’écrire une série de pièces en hommage à Charlie Mingus », avant de confesser qu’il s’est « donné des commandes » pour y parvenir : « une belle ballade, une belle valse ». Il cherche ses mots pour dire qu’il s’est permis de réaliser un hommage à Mingus sans vraiment jouer sa musique. En contrepoint à cette belle démonstration d’humilité, le témoignage de Goubert est lui-même un magnifique hommage indirect, dans un décor de cuisine légèrement décalé. « Jacques, c’est quelqu’un de modeste, c’est un contrebassiste qui aime être la base, comme un dôme, avec les autres musiciens qui évoluent autour. Il est le socle de la musique et il prend beaucoup de plaisir à cela. On est même obligés de le pousser pour faire un solo, parce qu’il aime avant tout être derrière et tenir la musique ».

Intelligemment complété par un extrait de concert donné par le septet au New Morning, Dans l’Esprit de Mingus est une leçon de savoir-faire mais surtout de savoir-être, que l’on reçoit avec un vrai plaisir, que l’on soit ou non musicien. On pourrait paraphraser les expressions des commentateurs sportifs en recommandant de le diffuser dans « toutes les bonnes écoles de musique » !

Un léger bémol : l’emballage du DVD est loin d’être à la hauteur du film et du concert. Dans l’esprit de Mingus est proposé dans un packaging des plus banals (boîtier en plastique transparent, pochette apportant peu d’informations supplémentaires) ; on aurait souhaité des finitions plus soignées et, pourquoi pas, un vrai livret, un texte, des photographies. Les dures réalités de l’économie culturelle et l’aridité du marché du disque étant probablement passées par là, on ne s’en offusquera pas outre mesure pour déguster avec gourmandise, tranquillement, les belles séquences qui sont ici livrées dans l’intimité d’une famille de musiciens. Avec pour conclusion un bel « Épilogue », duo entre la contrebasse de Jacques Vidal et le chant d’Isabelle Carpentier, tout en épure.

Jacques Vidal n’a pas voulu raconter ici sa version de l’histoire de la musique, en l’occurrence la grande page tournée par Mingus, mais plutôt une musique d’histoires - celles de la connivence entre des artistes qui tous regardent dans la même direction, celled d’un hommage qui sait dépasser le stade de la révérence. En toute humilité, au service de la musique.

par Denis Desassis // Publié le 11 mai 2009

[1Henri Texier Strada Sextet, Artofilms (2008).

[2Nocturne, EDV 180 - 2009.