Scènes

En Schaerer et en os

Nancy Jazz Pulsations – Chronique 4 – Lundi 15 octobre 2018, Théâtre de la Manufacture – Yakch’é Trio / Andreas Schaerer 4tet « A Novel Of Anomaly »


© Jacky Joannès

Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Pour sa première incursion au Théâtre de la Manufacture, NJP 2018 s’est transformé en une sorte de « tour operator ». Le public n’a pas vraiment répondu à l’appel mais il en va ainsi dans ce festival qui faisait le plein à quelques hectomètres de là, au Chapiteau de la Pépinière. Préférons toutefois l’intimité d’un double périple…

Yakch’é Trio © Jacky Joannès

Pour un peu, je me serais cru plongé dans les années 60, au plus fort de la période dite baba cool. Bâtons d’encens, clochettes tibétaines, fumées joyeuses… Mais non, rien de tout cela en réalité, mes pensées divaguent car nous sommes bien en 2018 et le trio Yakch’é est composé de musiciens d’aujourd’hui. Pourtant, la ressemblance est frappante. Au départ né sous la forme d’un duo composé de la chanteuse Lily Young et du percussionniste Cyrille Lecoq, le groupe s’est adjoint les services d’un troisième larron en la personne du bassiste Franck Brua. Où sommes-nous ? Ailleurs, c’est certain : en Inde sans nul doute, en Chine, en Mongolie, en Australie aussi. Et ailleurs, dans un pays lointain et pacifié, là où on célèbre l’arbre de vie cosmique des Mayas… Les vocalises de Lily Young sont planantes, parfois accompagnées de son harmonium ou de son métallophone tandis que le hang (un instrument dont la création est récente, il n’es pas inutile de le rappeler) de Cyrille Lecoq colore l’ensemble de ses nuances discrètes frappées du bout des doigts ou de la paume de la main. Et pour signifier le voyage du côté des aborigènes d’Australie, le percussionniste souffle aussi dans un magnifique didgeridoo. C’est plutôt inattendu, et souvent recueilli. On pense parfois aux grandes heures du groupe Gong et des soupirs vocaux de Miquette Giraudy aux côtés de Daevid Allen. Les sièges rouges du Théâtre de la Manufacture sont peu garnis : qu’importe, le dépaysement est garanti…

Quitter le spectacle des écrans pour se confronter à la vraie vie

On a coutume de présenter le chanteur suisse Andreas Schaerer comme un phénomène vocal. Ce que ne manque pas de rappeler mon camarade Franpi dans sa chronique de A Novel Of Anomaly pour Citizen Jazz. Il dit plus précisément : « On avait l’habitude d’entendre Andreas en bateleur si ce n’est en chef d’orchestre. Un MC selon l’acception hip-hop, moins leader charismatique que distributeur de parole ; dans A Novel Of Anomaly, chaque instrumentiste est une pièce d’un puzzle plus large et dessine comme une mosaïque colorée ».

Andreas Schaerer © Jacky Joannès

Ainsi, le décor est bien planté et c’est exactement ce que le groupe va offrir : une prestation collective, qu’on évitera de qualifier de jazz tant les influences (folklore, rock, …) sont brassées, menée de voix de maître par un Schaerer qui, bien au-delà de ses prouesses vocales et de ses scats habités (« Aritmia », « Dive », « Getelateria ») sait aussi se transformer en trompettiste labial (« Stagione ») ou en duo rythmique percussions contrebasse (« Fiore Salino »). Sans cesse en mouvement, vivant chaque note avec passion et gourmandise, il chante en plusieurs langues, incité en cela par l’internationalisme de son quartet : si le batteur (dont la puissance ne cessera de s’élever tout au long du concert) Lucas Niggli est un compatriote, le guitariste Kalle Kalima est finlandais et l’accordéoniste Luciani Biondini italien. L’imaginaire très riche de chacun de ces musiciens trouve assez de place pour s’exprimer : la souffle poétique de Biondini, les élans plus rageurs voire bruitistes de Kalima et la force non retenue de Niggli. Tous sont de magnifiques improvisateurs et c’est bien un quartet qui offre un nouveau dépaysement. À la fin du concert, juste avant le rappel, Andreas Schaerer remercie le public qui a bien voulu quitter le spectacle de ses écrans pour se confronter à la vraie vie, celle de la musique live en particulier. Qu’il soit rassuré, nous étions tous heureux de découvrir son univers fantasque et coloré. Les absents ont eu tort…

par Denis Desassis // Publié le 16 octobre 2018
P.-S. :

Sur scène

  • Yakch’é Trio : Lily Young (chant, harmonium, métallophone), Cyrille Lecoq (hang, didgeridoo), Franck Brua (basse).
  • Novel Of Anomaly : Andreas Schaerer (chant), Luciano Biondini (accordéon), Kalle Kalima (guitare), Lucas Niggli (batterie).

Sur la platine

  • Yakch’é Trio : Athôme (2016)
  • Andreas Schaerer : A Novel Of Anomaly (Act Music 2018)